L'épouse d'Adam Rayski, Jeanne Rayski, rentrée avec Benoît, quatre ans, à son domicile, 342, rue des Pyrénées, à vingt heures – l’heure du couvre-feu pour les Juifs – un immeuble habité par une cinquantaine de familles juives immigrées, trouve tous les voisins réunis dans la cour de l’immeuble en train de discuter avec la concierge, dont le mari est gardien de la paix. Sans perdre de temps, Jeanne monte à la maison, empile dans son sac quelques affaires et une baguette. Au moment de sortir, en passant devant une glace, elle voit l’étoile jaune sur sa veste. Elle l’arrache, mais le tissu en garde la trace. Alors, elle prend l’enfant sur son bras gauche croyant ainsi la cacher. Jeanne et Benoît passent la nuit dans un petit hôtel de la rue de l’Aqueduc, dans le Xe arrondissement. Très tôt, l’hôtelier vient les réveiller : "Madame, vous devez partir, c’est trop dangereux pour moi de vous garder."
Une fois en bas, dans le café, Jeanne voit ce qui se passe dehors. Des groupes d’hommes, de femmes, certaines avec des enfants dans leurs bras, tous entourés de policiers. Elle se met à pleurer. « Tu ne vas pas la mettre dehors avec le môme », lance un client au patron. D’autres clients interviennent également : "Bon, remontez, lui dit enfin le patron. Je viendrai vous dire quand tout se calmera." Jeanne quitte l’hôtel vers midi. Le patron n’a pas voulu être payé : "Gardez votre argent. C’est honteux de voir ça. Et faites bien attention", lui dit-il.
L’Affiche rouge, dont Aragon fit un poème mis en musique par Léo Ferré, c’est cette affiche aux couleurs de sang que les nazis eux-mêmes avaient placardé sur les murs de France. On y voyait les visages torturés de très jeunes gens, mal rasés, hirsutes, dotés de noms à coucher dehors, tous censés symboliser une repoussante "armée du crime". Ils étaient donc vingt-trois, tous des combattants FTP-MOI, l’organisation militaire du Parti communiste pour les étrangers. Tous furent condamnés à mort et fusillés au mont Valérien le 21 février 1944. Ils avaient demandé comme dernière grâce de mourir ensemble. La seule femme du groupe, Olga Bancic, sera décapitée. Un mythe était né. Leur mort et leur combat passèrent dans la légende.
Dans cette évocation, qui relève à la fois de l’enquête, du pèlerinage et de l’art du portrait, Benoît Rayski s’attache à reconstituer le monde d’où venaient ces combattants à peine sortis de l’adolescence. Un monde juif pour l’essentiel, un monde de petites gens modestes et courageux, un monde rouge et communiste. Le journaliste s’y promène dans les rues du 9e arrondissement de Paris, ce quartier populaire où furent recrutés nombre des héros de l’Affiche rouge. Il arpente les cimetières où ils furent enterrés avec d’autres résistants, rencontre des témoins qui lui racontent la guerre, les rafles, les arrestations, Auschwitz.
En veilleur inlassable doublé d’un essayiste brillant, Benoît Rayski déambule ici, comme à son habitude, dans le labyrinthe de la mémoire, soucieux de chaque détail. Car "on ne peut apprécier la beauté d’une plante si on ne sait sur quel terreau elle a poussé". Jusqu’à interroger son propre père, Adam Rayski, l’ancien responsable politique de la FTP-MOI : "Tu vois, on parle souvent de notre héroïsme, de notre courage, mais jamais de notre souffrance quand nous apprenions qu’un de nos camarades avait été fusillé."
Lors de sa première publication en 2004, ce récit d’une grande sensibilité fut unanimement salué par la critique. "Des pages d’une sacrée et inextinguible colère", écrivait Le Monde, "une belle méditation" (Le Canard enchaîné), "un essai superbe et partisan" pour Politis. Cette réédition, revue et augmentée d’une nouvelle préface, intervient alors que le cinéaste Robert Guédiguian, à qui l’on doit notamment Le Promeneur du Champ de Mars ou Marius et Jeannette, rend à son tour hommage aux soldats de "L’Armée du crime".
Benoît Rayski est journaliste et essayiste. Il a été notamment chef du service étranger de France-Soir, rédacteur en chef au Matin de Paris et rédacteur en chef de Globe. On lui doit plusieurs essais, dont récemment Le cadavre était trop grand – Guy Môquet piétiné par le conformisme de gauche (Denoël, 2008).
Liens externes
[Ajouter un lien vers un article d'intérêt ou un site internet] 1 Notre Dame de Sion : les Justes (La première religieuse de Sion à recevoir ce titre en 1989 est Denise Paulin-Aguadich (Soeur Joséphine), qui, à l’époque de la guerre, était ancelle (en religion, fille qui voue sa vie au service de Dieu). Depuis, six autres sœurs de la congrégation, ainsi qu’un religieux de Notre-Dame de Sion ont reçu la même marque de reconnaissance à titre posthume. Ils ont agi à Grenoble, Paris, Anvers, Rome. L’action de ces religieuses et religieux qui ont sauvé des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale mérite de ne pas être oubliée. Et il y en a d’autres, qui, même s’ils n’ont pas (encore ?) reçu de reconnaissance officielle, ont œuvré dans le même sens, chacun à leur place. )
2 L'histoire des Van Cleef et Arpels (Blog de Jean-Jacques Richard, très documenté. )
3 Résistance à la Mosquée de Paris : histoire ou fiction ? de Michel Renard (Le film Les hommes libres d'Ismël Ferroukhi (septembre 2011) est sympathique mais entretient des rapports assez lointains avec la vérité historique. Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques. Mais prétendre que la Mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire. )
4 La Mosquée de Paris a-t-elle sauvé des juifs entre 1940 et 1944 ? une enquête généreuse mais sans résultat de Michel Renard (Le journaliste au Figaro littéraire, Mohammed Aïssaoui, né en 1947, vient de publier un livre intitulé L’Étoile jaune et le Croissant (Gallimard, septembre 2012). Son point de départ est un étonnement : pourquoi parmi les 23 000 «justes parmi les nations» gravés sur le mémorial Yad Vashem, à Jérusalem, ne figure-t-il aucun nom arabe ou musulman ? )
5 Paroles et Mémoires des quartiers populaires. (Jacob Szmulewicz et son ami Étienne Raczymow ont répondu à des interviews pour la réalisation du film "Les garçons Ramponeau" de Patrice Spadoni, ou ils racontent leur vie et en particulier leurs actions en tant que résistants. On peut le retrouver sur le site Paroles et Mémoires des quartiers populaires. http://www.paroles-et-memoires.org/jan08/memoires.htm. (Auteur : Sylvia, Source : Canal Marches) ) 6 Les grands entretiens : Simon Liwerant (Témoignage de Simon Liwerant est né en 1928. Son père Aron Liwerant, ouvrier maroquinier né à Varsovie, et sa mère Sara née Redler, seront arrêtés et déportés sans retour. )
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