Chil (Charles) Ostrowiecki et son épouse Chaja née Gutman viennent d’un village de Pologne situé entre Lódź et Varsovie et qui s’appelle Mogielnica. Il s'agissait d'une petite bourgade de mille ou deux mille habitants, séparée par une grande rue.
Charles et Chaja fuient l’antisémitisme et arrivent en France en 1936. Ils se marient en juin 1937. Leur fils Henri naît en septembre de la même année.
Au début de la guerre ils habitent un appartement de deux pièces, au 14 rue Delaître dans le 20e arrondissement de Paris.
Charles était tailleur à domicile dans le tout petit appartement.
D’autres membres de la famille ont émigré vers la France et l’Argentine.
Maurice, le frère aîné de Charles, sa femme Charlotte et leurs deux enfants, étaient arrivés en France vers les années 1925, naturalisés, ils purent ainsi passer plus facilement en zone « libre ».
Charles Ostrowiecki, juif polonais, est arrêté lors de l’opération dite « du billet vert », le 14 mai 1941, et interné au camp de Beaune-la-Rolande. Il s’évade le 4 août, pour venir voir sa famille. Il est repris et interné à Compiègne à partir du 23 août, il est déporté à Auschwitz, le 27 mars 1942, par le premier convoi, seul convoi constitué de wagons de voyageurs de 3e classe et uniquement d'hommes. Sur les 1 112 déportés, seuls 19 reviendront.
La veille de la rafle du Vél’ d’Hiv’, un inspecteur de police, membre d’un réseau de résistants, prévient la famille, mais Chaja refuse de quitter son domicile avec son enfant malade. Henri et sa mère sont arrêtés au petit matin du 16 juillet 1942. Henri se souvient. Il est alité avec une forte fièvre, il a la rougeole. Son lit fait face à la porte d’entrée.
Il est réveillé brusquement par le bruit des pas dans l’escalier. Sa mère en chemise de nuit le serre dans ses bras. Il croit voir de la frayeur dans son regard. Puis des coups sont frappés dans la porte, frappés « avec violence, avec haine ». « Ouvrez Police ».
Trois hommes font irruption dans l’appartement, deux hommes en uniforme de la police parisienne et le troisième en civil, il est particulièrement brutal.
Puis son souvenir se brouille...impressions floues.
Les souvenirs redeviennent plus nets, plus précis, « comme au sortir d’une somnolence », dans la rue Delaître, petite rue sombre sans fin qui mène au square Sorbier, lieu du rassemblement. Il sent le souffle du policier qui le porte dans ses bras, enveloppé dans une couverture. D’un revers de main, il fait tomber son képi. Arrivé au square Sorbier, les événements se précipitent. On saisit sa mère, elle se fond dans la foule, leurs regards se fixent encore un instant. Elle monte dans un fourgon de la police parisienne. Elle se retourne et disparaît.
Séparation brutale qui l’arrache à sa mère. Il garde l’impression fugace qu’il ne l’a reverra plus. En le laissant dans les bras du policier, elle se sépare de lui sans un cri, attitude qui le sauve. Il revoit le regard de sa mère toujours « braqué » sur lui. Puis son souvenir se brouille de nouveau. Trou noir, images confuses, floues. Il se réveille à l’hôpital. Plus tard le soir dans son lit, il refait sans cesse le chemin avec elle, petite femme « au visage fin et régulier, encadrée par deux énormes policiers ». Cette cassure va sceller sa nouvelle identité. Il est devenu un autre, un enfant « juif ».
Le 14 septembre, sa mère est déportée à Auschwitz par le 32e convoi. A quatre ans et demi, Henri est fiché par la police, avec le statut « d’enfant bloqué ». Il est « interné » à l’Hôpital Rothschild.
Resté seul, Henri Ostrowiecki a été recueilli par ses oncle et tante et élevé avec ses cousins.