Léon Cohen

Début février 1944, à 6 h du matin, une traction avant noire conduite par un chauffeur armé s’arrête devant notre immeuble. Deux hommes descendent du véhicule, montent rapidement jusqu’au 1er étage et frappent à la porte de mes parents.

Ma mère leur ouvre la porte, ils pénètrent dans l’appartement et exigent leurs cartes d’identité. Après vérification, ils déclarent :
" Où se trouve Ephraïm Cohen ? "
Ma mère répond : « Dans l’appartement d’à côté, je vais vous le chercher. »

Aussitôt, mon oncle se présente en pyjama muni de sa pièce d’identité. La Gestapo lui signifie qu’il est en état d’arrestation et qu’ils doivent l’emmener à Gap. Mon oncle leur demande cinq minutes et l’autorisation de s’habiller pour les suivre ensuite. Après leur acceptation, mon oncle avise un petit balcon situé entre le 1er et le 2e étage de l’immeuble où se trouvent les toilettes. De ce balcon, l’on a une vue sur le jardin potager. Mon oncle enjambe la grille métallique de protection et se jette dans le vide. Il est gros et pèse 95 kilos. Heureusement, le jardin est clôturé par un grillage en fer qui amortit sa chute, mais il est très gravement blessé.

Albert Bonnet*, dont l’appartement est situé à l’arrière de l’immeuble près du jardin, entend un bruit sourd. Il se lève, ouvre les volets, et aperçoit mon oncle à terre et inanimé. Il appelle son fils Pierre et tous deux le transportent dans la grange et le cachent sous des bottes de foin. Puis, le père et le fils retournent se coucher et feignent le profond sommeil.

La Gestapo, ne voyant pas revenir mon oncle, réveille tous les habitants et fouille l’immeuble de fond en comble. Furieux, les deux hommes doivent se rendre à l’évidence, Ephraïm Cohen a disparu.

Après des menaces précises à l’égard de mes parents, ils déclarent qu’ils reviendront le lendemain.

Vers huit ou neuf heures du matin, après s’être rendus compte que la traction avant n’était plus devant l’immeuble, Albert Bonnet* et son fils se précipitent dans la grange pour secourir mon oncle.

Celui-ci a retrouvé ses sens, mais son visage est ensanglanté et sa blessure est très grave. Il demande à Albert Bonnet* de le transporter chez Monsieur Ricard Eugène qui habite 800 mètres plus bas, dans une villa sur la route de Sisteron.

Aline* et Eugène Ricard* accueillent mon oncle et font appel à un médecin de Laragne, lequel lui prodigue les premiers soins. Ephraïm Cohen restera un mois chez eux, puis, après la guérison, optera pour un autre village.