Marianne Moutet, née en 1904 à Largentière en Ardèche était la fille de Marius Moutet et de Anna née Matoussevitch. Son père, Marius Moutet était un homme politique déjà connu en 1936 du temps de Léon Blum.
Marianne vécut d’abord à Lyon. Plus tard elle étudie la médecine à Paris et épouse en 1928 un jeune médecin, Georges Basch, fils de Hélène (née Ilona Fürth) et Victor Basch, avec qui elle a deux enfants, Françoise et André, nés respectivement en 1930 et en 1933.
Marianne a pratiqué la médecine à temps partiel avant la guerre, à Paris, mais elle était surtout engagée à aider son mari dans sa carrière médicale et à élever leurs enfants. Après avoir remporté le prestigieux titre de « Médecin des hôpitaux », Georges Basch avait une clientèle importante.
Cultivés, juifs, laïques et de gauche, la famille Basch formaient un vague réseau, partageant des idéaux communs et des valeurs similaires.
La première génération, celle de Victor Basch et d’Ilona née Furth (1863-1944) de Budapest et d’Anna Matoussevitch, juive russe de Minsk, avait émigré en France à la fin du XIXe siècle et s’était tout à fait intégrée dans la vie française. Anna avait épousé un non-juif, Marius Moutet, qu'elle avait rencontré dans un club pour étudiants russes.
Largement formés et socialisés dans les idéaux républicains, ils n’étaient pas religieux, s’y opposaient généralement ; ils ignoraient délibérément la tradition juive. Leur fidélité est allée à la France ; ils se considéraient eux-mêmes comme « assimilés ». Leurs enfants et les petits-enfants ont généralement repris ces vues.
Victor Basch et Marius Moutet, qui avaient toujours été des camarades politiques, sont devenus liés par le mariage de leurs enfants, Georges Basch et Marianne Moutet.
Au déclenchement de la guerre en septembre 1939, Georges Basch fut muté dans une unité militaire d’ambulance et Marianne dut fournir le revenu manquant, remplaçant des médecins généralistes dans deux villes provinciales à l’Ouest de Paris – une expérience inestimable pour le proche avenir-. Soudain confrontée aux charges de la famille et aux obligations professionnelles, elle accepte l’aide de sa belle-famille. Victor « autorise généreusement » sa femme Ilona à s’éloigner de lui pour rejoindre Marianne, Françoise et André et « être gouvernante, secrétaire, trésorier… afin que Marianne puisse être «chef de famille ». » (Ilona dans une lettre à un ami, fin 1939).
Le 20 juin 1940, Georges Basch s’est tué volontairement avec l’arme à feu qu’il aurait dû avoir remise au moment de l’armistice. Deux jours après « L’Appel du 18 juin de De Gaulle » (que très peu de gens ont entendu) et deux jours avant l’armistice (du 22 juin).
Devenue veuve, Marianne s’établie comme médecin à Bollène en septembre 1940 avec André et Françoise âgés de 10 et 13 ans et une jeune employée. Elle sera la victime de plusieurs dénonciations… Deux fois au moins, par son confrère le Docteur Hugou, maintenant décédé... ce qui lui valu la visite et l'enquête d'un fonctionnaire du Commissariat aux affaires juives...
Elle héberge et cache un Commissaire de Police de Marseille, qui, avec un de ses amis, François Clouzot, avait sauté d’un train qui les emmenait en Allemagne. Ce Commissaire, malgré mes objurgations, est retourné à Marseille, a été repris par la Police franco-allemande, et la dénoncée sous la torture. Quelques jours après, l'employée de Marianne, Andrée Roux, ayant ouvert la porte à quelqu’un, ele entend par miracle, de son bureau les mots « police allemande ». Par bonheur sa maison située rue de la Paix, avait une seconde issue, et elle pu sortir précipitamment dans une autre rue. Ceci se passait en décembre 1943.
Elle se cache chez les Bollénois, en évitant ceux qu’on savait être ses amis et pu ensuite rejoindre ses enfants amenés de Marseille à Valence, et passer en Suisse.
Elle ne reviendra à Bollène qu’après la Libération.
Une de ses amies, le Docteur Yvonne Rosenbaum qui était venue vivre à Bollène, a été cachée chez la famille Ikovicz, à Saint Blaise, apiculteur de nos amis.
Madeleine raconte : « C’est le docteur Fontaine, notre médecin de Saint-Paul-Trois-Châteaux, qui connaissait bien les fermes du plateau parce qu’il y faisait des visites à domicile, qui était venu avec Pierre Flandrin1 de Saint Paul, un Résistant du réseau communiste, demander à ma mère, votre mamée, de la cacher. Nous saurons plus tard que Mme Basch avait été dénoncée par un confrère, le Dr. Hugou, qui avait écrit aux Commissariat aux affaires juives. La jeune gardienne des enfants, Andrée Roux, alors même que la doctoresse était dans son bureau, avait spontanément inventé face à la police qui avait sonné à la porte, qu’elle ne savait pas où se trouvait Mme Basch, qu’avec ce type de travail on ne savait jamais quand elle rentrait. Ayant tout entendu, Mme Basch était sortie par la porte arrière dans un autre rue, quand les Allemands et les miliciens avec l’excuse d’une urgence pour accident s’installaient dans la salle d’attente.
Cette dame, nous ne la connaissions pas sur le plateau. C’est le Dr. Fontaine de Saint Paul qui arrive un jour avec ce Monsieur Flandrin (qui avait lui-même caché Mme Basch deux jours chez lui puis chez un voisin, après une première cache chez nos cousins Farjon, puis chez leurs voisins … une vraie poursuite!). Donc le Dr. Fontaine arrive de chez notre voisin, le père Mancip, en demandant à ma mère, si elle ne voulait pas héberger une personne, en lui expliquant de quoi il s’agissait. Alors votre Mamée a répondu « Oh si c’est pour lui sauver la vie, moi je veux bien ». Le Docteur Fontaine avait ajouté. « On ne viendra pas vous embêter, ici, dans les Serres ».2 Les deux fermes des Nicolas – Bédoin étaient isolées et celle des Mancip franchement au fond des bois. En dessous de chez nous, c’était les Brès dits Berbési et plus loin les Mancip. Les Allemands qui avaient leur Commando3 à Saint-Paul-Trois-Châteaux et ne venaient pas par là.
Enfin, la mamée a dit : « On va essayer ». Alors le Dr. Fontaine a annoncé « On va vous l’amener tel jour ». Le jour dit, ils étaient montés, je crois, par les bois. Plusieurs personnes leur avaient successivement donné la main là-bas vers Bollène, le frère de Germaine Farjon et plusieurs autres. Toujours est-il qu’ils ont atterri chez la Mamée, elle et son petit garçon. Ils sont arrivés tous les deux mais pour finir seul le petit dormait chez nous parce qu’on n’avait pas beaucoup de confort. Il n’y avait que la chambre des parents et celle de Louis4. Le petit dormait avec Louis. Le soir avant de s’endormir, Louis lui chatouillait le dessous des pieds et le petit criait « Assassin ! Arrête-toi ! Ne me touche pas !» Et la grand- mère, d’en bas en dessous de la chambre, depuis la cave ou de la « patemouille» disait : «Mais tu as pas fini de l’inquiéter, ce petit ? ». En fin de compte pour que Mme Basch ait une chambre à elle, on l’avait été installée chez les Mancip. Personne ne le savait. Chez les Mancip, il n’y avait que Louise et le grand-père. Les deux sœurs de Louise : Eva Reboul et Marthe qui était mariée à Roger, ne savaient rien. Louise était célibataire à cette époque et gardait le grand-père malade à la maison. Il s’était cassé la jambe. On était allé le chercher à Valréas, je ne sais pas comment, car il n’y avait presque pas d’essence. Peut-être Henri Roulet avait encore fait le transport…Mme Basch, en tout cas, servait de garde- malade au grand père qui de surcroit, était aveugle. De Valréas, on l’avait renvoyé à la maison, croyant sa mort prochaine. Mais Mme Basch l’a si bien soigné qu’il a vécu encore 3 ans ! Mon Dieu, comme elle le soignait bien ! On avait fait coucher le grand-père, en bas, dans la salle à manger Et si quelqu’un venait, Marianne Basch se cachait. Si Eva venait voir son père, par exemple, Mme Basch se cachait derrière la porte du sas d’entrée et pendant qu’Eva allait tout droit saluer son père, Marianne montait vite l’escalier de sa chambre qui partait du même sas. Il fallait faire attention jusqu’à se cacher de sa propre sœur! Le soir quand la nuit était tombée, Mme Basch venait voir son enfant, jamais dans la journée pour ne pas être vue. Même au curé de Clansayes on n’avait rien dit. Il n’y avait guère que l’oncle Édouard et la tante Hélène qui l’aient su.
Comme on avait peur aussi que les enfants parlent, un jour qu’Ève devait venir en vacances chez la Mamée, Madeleine l’avait fait passer, à pied bien sûr, par Ferréol et Saint Restitut. Dix kilomètres par la montagne pour éviter toute rencontre. Il faisait encore très chaud. Ève se plaignait qu’elle était épuisée, que « ses jambes ne pouvaient plus avancer », demandant à Madeleine de la porter, ce qui était impossible : Madeleine, à 19 ans, était mince et fluette et Ève au contraire bien en chair avec ses 7 ans. Ève a gardé un très mauvais souvenir de cette équipée.
Nous avions en 1943 donc deux enfants de plus à la ferme : ton frère Daniel qui n’avait pas encore deux ans et qui était venu habiter avec nous après le départ de Max et juste à ta naissance5 et un autre petit Daniel, le fils de Mme Basch. Il avait dix ans. Son vrai nom était André mais on lui avait fait de faux papiers. (Il possède encore cette précieuse carte d’identité que Melle Bodin de La croisière était allé faire signer à Orange.)
Un soir, un ami de l’oncle Louis était venu avec sa femme en veillée jouer aux cartes, et la dame s’étonnait auprès d’Augusta : « Mais comment se fait-il que vous ayez deux petits-enfants du même nom ? Ce ne sont pas des frères n’est-ce pas? – Non, non ! L’un est le petit de Mélanie, l’autre celui d’Aimée ! »
Mme Basch avait aussi une fille, Françoise qui avait déjà 13 ans. Elle avait été placée par le Pasteur à Dieulefit, je crois à la Roseraie6.Comme c’était un internat fermé, on n’y entrait pas. Elle était en principe en sécurité. Un jour, cependant, Françoise est venue sur le plateau, amenée par des amis de sa mère qui remontaient de Marseille. C’était un peu avant Noël 1943, quand on vous a baptisés7, à la Galane. J’étais allée à Saint Auban avec le tonton Louis et ton frère Daniel. Nous étions parrains et marraine chacun de l’un d’entre vous. Mme Basch avait alors dit à sa fille : « Tu iras à Clansayes remplacer Madeleine, tu feras la vaisselle, etc. ». Effectivement la Mamée avait tout un train de travail, une grande basse-cour et surtout une truie célèbre pour ses portées impressionnantes où naissaient plus de gorets que de tétines pour les allaiter. Certains devaient donc être nourris au biberon. Il y avait aussi un troupeau de brebis à garder et mon père avait fort à faire dans les terres. Ton arrière-grand-mère, la Nanéou, venait certes pour l’aider. Tu l’as encore connue puis qu’elle est décédée le 21 décembre 1961. Mais peuchère, à 73 ans (elle était née vers 1870), elle tenait à peine sur ses jambes. Et puis il fallait préparer les repas pour 5 adultes, outre ton frère Daniel qui avait 2 ans et ce jeune Daniel Basch. Sans compter le linge de toute la maisonnée qu’on lavait au bassin à 200m de la maison…Tu imagines que Françoise était bien jeunette pour aider à tout cela et n’avait pas été entrainée à pareil régime!
Nous sommes restés en contact avec Mme Basch jusqu’à la fin de sa vie. Nous nous écrivions toutes les années. C’est comme cela que j’ai su ce qu’elle appelle son odyssée. Tu devrais les lire et les copier. Nous savons également où habite son fils, celui que nous appelions Daniel justement, mais qui en vérité s’appelle Olivier : il est médecin au nord de Lyon, à Juliénas en Beaujolais. Mais j’écris moins qu’avant et les contacts se perdent avec lui aussi.
Vers la fin de la guerre, ils avaient reçu de la Résistance leurs (faux) papiers d’identité et avaient pu passer en Suisse. Elle avait la clé d’une maison, juste sur la frontière. Mais arrivés devant la porte, impossible de faire fonctionner cette clé et de passer de l’autre côté. Des minutes horribles. C’est un douanier suisse allemand qui lui a finalement ouvert la porte. Ils étaient sauvés.
Elle me tutoyait et m’avait dit en partant : « si un jour vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à faire appel à moi. Je ferai tout ce qui me sera possible ». Et c’est effectivement à elle que j’ai écrit après la mort de Robert, en 1965, pour éviter que Maurice soit appelé au service militaire. Nous avions fait sans succès plusieurs démarches pour qu’il reste à la maison. Elle avait un frère qui travaillait avec Mesmer, le ministre de la Défense. Et au bout de 15 jours, est arrivée la nouvelle que Maurice était exempté de service en tant que soutien familial ! Un soulagement après tous nos malheurs. Elle avait tenu parole et ne s’était pas embarrassée du fait qu’une autre tendance politique que la sienne soit alors au gouvernement !
Source : Madeleine Nicolas, épouse Froment, quelques jours après son 86ème anniversaire, chez elle aux Évignols de Clansayes (Drôme), Août 2010.
Témoignage sur la vie des femmes à la ferme de son enfance sur le Plateau de Clansayes, chez ses parents Louis et Augusta Nicolas née Bédoin. (*1893- †1969)