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Manche

Région :
Normandie
Département :
Manche

Préfets :
Maurice Luchaire
(1927 - 1940) Sous-préfet de Cherbourg
Fernand Coutenceau
(1940 - 1941) Sous-préfet de Cherbourg
René Bouffet
(1940 - 08/1942) Préfet de la Seine-Inférieure et à partir de 1941 Préfet régional de la région de Rouen (Calvados, Eure, Manche, Orne et Seine-Inférieure (= Seine-Maritime). Arrêté et révoqué par la Résistance le 19 août 1944 (1896-1945)
M. Dop
(1940 - 01/1943) Sous-préfet d'Avranches. Adhérant au RNP, au MSR, puis à la Milice.
Gaston Mumber
(25/09/1940 - 16/06/1942) Préfet de la Manche. Sécretaire général du Rhône pour la police. Nommé préfet de la Somme
Fernand Coutenceau
(1940 - 1941) Sous-préfet de Cherbourg
Louis Just
(1941 - 1941) Sous-préfet de Cherbourg
André Parmentier
(1942 - 19/08/1944) André Auguste Parmentier, Préfet régional de la région de Rouen (Calvados, Eure, Manche, Orne et Seine-Inférieure (= Seine-Maritime). Arrêté et révoqué par la Résistance, il est relevé de sa condamnation pour faits de Résistance (1896-1991)
M. Moreigne
(1942 - 1942) Sous-préfet de Cherbourg
Louis Dupiech
(1942 - 1942) Sous-préfet de Cherbourg
Lionel Audigier
(06/1942 - 06/06/1944) (1909-1944), directeur de cabinet de René Bousquet puis sous-préfet de Cherbourg, mort à la prison de Saint-Lô sous les bombardements.
Henri Faugère
(16/06/1942 - 14/05/1944) (1900-1970) Préfet de la Manche. Arrêté par les Allemands le 15 mai 1944 puis déporté à Eisenber le 26 juin. Devient préfet de la Charente-Maritime en juillet 1945.
Raymond Jacquet
(1944 - 1944) Sous-préfet de Cherbourg
Louis Dramard
(1944 - 1944) Louis Marie Charles Dramard, Préfet régional de la région de Rouen (Calvados, Eure, Manche, Orne et Seine-Inférieure (= Seine-Maritime)
Francis Bourdin
(1944 - 1944) Sous-préfet de Cherbourg
Max Moulins
(1944 - 1945) Sous-préfet de Cherbourg
Édouard Lebas
(18/11/1944 - 11/05/1946) Résistant. Nommé préfet de l’Orne pour 3 mois. Devient inspecteur général de l'Administration en 1952, puis député de la Manche entre 1958 et 1962
Henri Bourdeau de Fontenay
(29/08/1944 - 31/03/1946) Commissaire régional de la République de la région de Rouen (Calvados, Eure, Manche, Orne et Seine-Inférieure (= Seine-Maritime) (1900-1969)

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Texte pour ecartement lateral

Anne-Marie Mainemer

dite "Martin"
Texte pour ecartement lateral

Avranches 50300 Manche
Nom de naissance: Mainemer
Date de naissance: 04/04/1922 (Paris)
Date de décès: 30/04/2009 (Norfolk County Massachusetts (USA) )
Aidé ou sauvé par : - Henri Bitard - Madeleine Bitard Profession: Etudiante
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Anne-Marie-Mainemer
Commerce de Joseph Mainemer
source photo : Mémorial de Caen
crédit photo : D.R.
Histoire

Témoignage d'Anne-Marie Mainemer

L'IMPOSSIBLE OUBLI

Ma sœur Rose-Marie et moi sommes nées à Paris, filles de Joseph et Dina Mainemer. C'est moi l'aînée.

En 1932 nous déménageons à Avranches où nous sommes la seule famille d'origine juive, jusqu'à ce que M. Simon Rozental s'établisse à Avranches après son mariage.

En 1939, après la déclaration de guerre, papa essaye de s'engager dans l'armée. Refusé à cause de son âge.

1940 – débâcle et invasion de la France. Nous partons nous refugier au Pouldu, près de Quimperlé. La Wehrmacht y arrive en même temps que nous. De retour à Avranches, la vie reprend son cours, mais nous sommes maintenant en territoire occupé.

Le 13 août 1940 je suis reçue à l'examen du baccalauréat et ma famille est heureuse pour moi.
 
Fin 1940 – début 1941: plusieurs membres de notre famille de Paris arrivent à passer en zone libre. Radio-Paris commence à vitupérer contre les Anglais, les Gaullistes, les Juifs, les Francs-maçons, les communistes, etc.

1941 – On annonce bientôt que les Juifs devront faire gérer leurs entreprises par des Aryens. Mon père, quoique bien connu dans la région depuis des années, décide d'abandonner sa vente au détail, malgré une fidèle clientèle. Heureusement, son permis de mi-gros lui permet de continuer à travailler au ralenti. Tous les fonds de commerce appartenant à des Juifs doivent être identifiés par un écriteau : "Entreprise juive".
Première brutalité : M. et Mme Rozental décident de faire le marché important de Villedieu où des soldats allemands s'emparent de leur marchandise qu'ils jettent à terre avec de grands cris et des insultes, devant les clients effrayés. Les Rozental viennent nous raconter ce terrible incident qui nous secoue tous. C'est comme ce qui se passait en Allemagne en 1933.
Il faut que nous nous fassions déclarer comme Juifs au Commissariat de Police et que nous allions tous les jours nous faire pointer. C'est la première grave atteinte à la dignité de l'être humain : on lui enlève sa liberté de mouvement. Ces lois spéciales sont comme une main qui cherche à nous étrangler ; elle se resserre sur notre gorge petit à petit, jusqu'à la " Solution Finale ".
Les voyages sont finis sans la permission de la Feldkommandantur. Il nous faut remettre notre poste de T.S.F. à la mairie. Papa achète un vieux poste à accus qu'il porte à la mairie, remet notre bon poste à des amis, et le remplace aussitôt par un poste neuf, très petit, donc facile à dissimuler.
Notre couvre-feu est de 20 h à 8 h. Nous ne sommes autorisés à faire nos achats de nourriture que l'après-midi, quand les magasins sont presque vides. Heureusement, nous avons deux employés et ce sont eux qui font les commissions. Nos deux autos sont enfermées dans le garage, sans essence, et plus tard sans pneus. Cependant, les Boches viennent réquisitionner le camion chaque fois qu'ils veulent réapprovisionner leurs amis : la femme pâtissière et le sieur épicier, place Littré. Ce sont les soldats allemands qui nous ont donné leurs noms. Chaque fois qu'ils ramenaient le camion, il y avait des traces de farine et de sucre à l'intérieur. Naturellement, ces deux collaborateurs n'avaient pas manqué de leur dire qui nous étions. Après la guerre, j'ai signalé à la Police tout individu qui nous avait nui, avec dates et témoins à l'appui.

Mai 1942 – Les ordres arrivent : nos cartes d'identité et de rationnement doivent porter la mention juif ou juive et, pour comble, on nous fait donner des points de notre carte de rationnement pour obtenir une étoile jaune à six pointes avec le mot juif en noir, étoile qui doit se porter sur le côté gauche de la poitrine.

26 juin 1942 – Je vais passer mon " bac-philo " à la mairie d'Avranches et refuse, pour cette occasion, de subir l'humiliation de porter l'étoile jaune devant des centaines d'élèves et de professeurs. Quand les examens sont terminés, papa vient me chercher à la mairie et, par solidarité, il ne porte pas non plus son étoile.

27 juin 1942 – 10 h du matin. Deux feldgendarmes font irruption dans la cuisine où nous nous trouvons, sans sonner à la porte. Maman n'a que le temps de les faire passer dans le salon pendant que la bonne fait disparaître notre petite radio en la jetant par la fenêtre dans un buisson. Ma sœur court avertir mon père qui faisait du jardinage, il saute par-dessus un mur et court à travers champs pendant des heures. Naïvement nous pensions que les hommes étaient les seuls visés.
Un gros lieutenant aux cheveux roux se met à nous questionner, maman et moi : "Connaissez-vous d'autres Juifs à Avranches ? " Maman ne répond pas. Moi, malgré ma peur, la colère me fait répliquer : " Non, nous ne connaissons pas de Juifs ici. D'ailleurs j'ai du mal à vous comprendre. Si vous parlez anglais, ce sera plus facile. " Au mot " anglais " je me rends compte que la moutarde lui monte au nez. C'est ce que je voulais, énerver ces êtres insensibles. Cette séance idiote dure bien une heure. En réalité, maman et moi comprenons l'allemand, mais nous le laissons radoter : " les Catholiques connaissent d'autres Catholiques, les Juifs connaissent d'autres juifs "...
Nous apprendrons plus tard que papa et moi avons été vus la veille sans étoile jaune par E. L., collaborateur notoire, qui a toujours haï mon père, sans doute parce qu'il était dans le même commerce que lui. Il nous a dénoncés à la Feldgendarmerie.
Après le départ des deux feldgendarmes, une semaine environ se passe. Nous ne sortons plus, excepté pour le pointage, hebdomadaire maintenant. On nous annonce qu'une petite fille, Estelle, est née chez les Rozental. Leur aîné, Jacques, à huit ans.
Quelques jours plus tard, les feldgendarmes viennent de nouveau se rappeler à notre bon souvenir. Cette fois, ils sont obligés de sonner à la grille car une énorme chaîne munie d'un cadenas tient le portail fermé. Encore des questions oiseuses. Ils perdent leur temps, mais tiennent sans doute à nous montrer qu'ils ont l'a; il sur nous. Nous nous passerions très bien de leur assiduité. Chacune de leurs visites nous cause une angoisse intolérable, comme le jeu du chat et de la souris.

14 juillet 1942 – 8 h du matin – La sonnette de la grille n'arrête pas. On entend un grand bruit métallique, des voix gutturales au portail, des hurlements. La bonne va ouvrir ; des feldgendarmes se précipitent, il y en a au moins quatre ou cinq dans la maison maintenant, armés de mitraillettes. Je crois que ma tête va éclater. Je reconnais le gros lieutenant roux qui, m'a-t-on dit plus tard, s'appelait Brandt. II faut que mon père aille faire sa valise. Ne sachant vers qui me tourner, je téléphone aux Rozental pour les avertir. La voix de leur bonne me répond : " Ils sont ici aussi." Je ne me rappelle pas avoir vu papa partir. Le choc a dû me causer une amnésie temporaire. En regardant par une fenêtre du premier étage, Rose-Marie l'a vu quitter la maison entouré de plusieurs feldgendarmes. Il poilait son manteau de cuir marron, et c'est le dernier souvenir qu'elle a de lui. Mon père est, paraît-il, à la prison d'Avranches. Les Boches sont en train de donner des ordres à maman. Ils reviendront la chercher cet après-midi. Après avoir fait sa valise, elle devra nous préparer à rester seules avec la bonne. Ils ont l'air très au courant de notre mode de vie, cela m'a frappé plus tard. J'arrête un Teuton au passage : " Vous ne pouvez pas emmener ma mère, elle est trop fragile. " Réponse : " Je ne suis pas docteur, si elle est malade on la renverra. Quelle hypocrisie ! Aussi longtemps que je vivrai, je me souviendrai de l'aspect physique de cet individu : un mastodonte aux cheveux et yeux noirs, dans l'uniforme maudit. On aurait dit qu'une balle de revolver ne pourrait l'abattre. La nouvelle a dû se répandre aussitôt dans la ville parce que dès le départ des monstres, nos amis se mettent à arriver. Le Dr Alfred Lebreton, très pâle. Je suis au désespoir, je ne sais comment maman peut tenir le coup. Il lui promet que sa femme et lui veilleront sur nous. Mon amie d'école, Irène Poidvin, arrive. Les mots lui manquent. M"' Adam, le professeur de piano de Rose-Marie, est en larmes. Maman qui prépare le contenu de sa valise, lui donne des bas : " Vous en aurez besoin, il va faire froid et je serais partie sans doute assez longtemps. " Elle se met à pleurer, mais se ressaisit. (Je suis reconnaissante à M. A. Marie, ancien directeur de L'Avrunchin d'avoir eu la bonté de mentionner, à la page 81 de son livre écrit en 1949, la générosité de mes chers parents. J'aurais voulu pouvoir le remercier avant son décès.)
A l'heure prévue, deux soldats allemands se présentent pour emmener maman. Elle est prête, notre bonne est autorisée à lui porter sa valise. Nous faisons nos adieux et elle sort de la maison la tête haute. Les deux soldats marchent devant elle sans se retourner. M. Gervais, notre bon voisin d'en face, suit maman à bicyclette pour voir où ils l'emmènent. Rose-Marie et moi souhaitons que tout autour de nous disparaisse. Notre désespoir est indescriptible. A la nuit tombante, le gardien de prison et sa femme me font prévenir en cachette que mes parents seront emmenés à Paris le lendemain matin à l'aube et que je peux venir les accompagner à la gare.

15 juillet 1942 – Il fait à peine jour. J'attends avec ma bicyclette non loin de la prison. Les voici. Deux Boches marchent devant nous, les mêmes qu'hier. Maman est désemparée. " Il n'y avait même pas d'eau pour se laver, j'ai utilisé le contenu de ma bouteille d'eau de Vichy. " Elle qui a toujours été d'une propreté méticuleuse ! Papa et M. Rozental marchent derrière nous avec M. Hérault, l'avocat et ami des Rozental. Le jeune propriétaire d'un café de la place Littré traverse en courant pour serrer la main à maman à qui il avait appris à conduire quand il était garagiste.
A la gare d'Avranches, nous attendons le train pour Paris. Le voilà, Maman me serre sur son cœur à m'étouffer : " Fais attention à toi, tu es trop mince, il faut manger davantage. Ne te tracasse pas pour tes études, tu les continueras quand nous reviendrons. " Pour la première fois de ma vie, je vois des larmes qui coulent des yeux de mon père, il est déjà sur les marches du train. Il attrape mes deux mains et les embrasse : " Prends bien soin de ta petite sœur " ... M. Rozental fait ses recommandations à m, Hérault. Un coup de sifflet. Tout le monde est à bord et le train se met doucement en marche, nous arrachant les uns aux autres. Par la suite, j'ai pensé bien souvent à Anna Karénine. D'une manière différente, la meilleure partie de ma vie s'est terminée ici, sur ce quai. J'ai toujours remercié le ciel que ma sœur ait été trop jeune pour assister à ce départ.

16 juillet 1942 – J'apprends les arrestations en masse à Paris. Je reçois un message nous faisant savoir que tous les membres de notre famille restés à Paris sont saufs, mais cachés. Un ami, inspecteur de Police, a averti le frère de maman qu'il avait eu vent de quelque chose de grave qui se préparait. Quelques jours après, nous recevons la première lettre de maman du camp de Pithiviers. Elle me demande un certain petit oreiller pour papa. Je prépare vite un colis de nourriture qui est expédié aussitôt en même temps que l'oreiller. Les lettres du camp viennent par l'entremise d'une M Émilienne, épouse non juive d'un des prisonniers. Je fais des colis presque tous les jours et je reçois quelques lettres de mes parents, toujours par Mme Émilienne. Le courage de Maman à l'air de se maintenir. " Dieu est partout ", nous écrit-elle.
Puis, un jour, plus de lettres. Je suis quand même là, à la grille, chaque fois que le facteur passe. On vient nous enlever notre téléphone.
Quelques semaines plus tard, le facteur nie fait signe de loin. J'accours, c'est une lettre de Pithiviers. Maman nous écrit qu'ils vont être envoyés ailleurs. Mon père est déjà parti vers une destination inconnue avec cinq mille hommes. Elle nous renvoie sa bague de mariage, celle de papa, leurs montres et leurs deux stylos (jamais reçus)... Nous nous apercevons avec une profonde tristesse que la lettre date de plusieurs semaines. C'est la dernière.

15 septembre 1942 – La Wehrmacht commence le siège de Stalingrad. C'est un abattoir. Les Américains sont en guerre depuis décembre 1941, après l'attaque surprise par les Japonais à Pearl Harbor. Tout cela nous donne de l'espoir. Nous écoutons la B.B.C. religieusement, mais nous vivons à la merci de sauvages qui deviennent de plus en plus féroces.
En attendant des jours meilleurs, nous allons, Rose-Marie et moi, rendre visite à des amis, M. Lambert, qui habite non loin de chez nous, est veuve d'un capitaine tué dans la " Grande Guerre ". Elle vit avec sa fille et nous parlons ouvertement des Boches. Nous sommes parfois invitées chez la famille Bazire où il y a une bibliothèque bien garnie. Je lis, je lis (Dorgelès, Philippe Hériat, etc.). Quand mes parents ont été arrêtés, ma sœur lisait " A l'Ouest, rien de nouveau " par Erich Maria Remarque, bien sérieux pour une enfant de 12 ans, mais nos parents avaient une grande admiration pour cet auteur.
Nous avons quelques visiteurs : M. Désiré Lerouxel dont on connaît le sort tragique dans la Résistance, le Baron de la Mothe (propriétaire du Café du Balcon) viennent séparément nous faire savoir combien notre tragédie les affecte. Ils connaissaient bien mon père. Leurs visites me touchent beaucoup car bien des gens qui se disaient nos amis ne nous ont plus donné signe de vie, de peur de se "compromettre ". M'' Alfred Lebreton vient de temps en temps nous apporter des petites " pâtisseries " qu'elle fait elle-même. (Je resterai en contact avec elle jusqu'à son décès, dans les années cinquante).

22 septembre 1942 – Un télégramme de ma tante de Paris nous annonce le décès de notre cher grand-père. Dans les jours heureux, il venait passer les étés chez nous. II était toujours assis en train de lire, sans lunettes, près de la fenêtre. Nous voici donc encore plus seules, j'ai du mal à croire que nous ne le reverrons plus.

Octobre 1942 – Nous apprenons que Mme Rozental et son petit Jacques ont été arrêtés. Les Thomas*, gens très dévoués, ont pu prendre le bébé Estelle, mais, malgré leurs supplications, les Boches sont restés inflexibles au sujet de Jacques qu'ils ont déporté avec sa mère. Je n'ai pas assez de mots pour décrire mon indignation.

16 octobre 1942 – La concierge de l'immeuble du 44 rue d'Enghien à Paris nous informe que ma tante (la sœur cadette de maman), mon oncle et ma petite cousine de 15 ans, cachés dans leur appartement, ont été arrêtés par la Police Française et sont au camp de Drancy. Ils ont été surpris avant de pouvoir s'évader par une porte secrète. Pour nous, c'est le choc final : ma petite cousine au cœur d'or, notre compagne de jeux dans notre enfance, et si brillante au lycée ! Ma tante et mon oncle ont soigné grand-père pendant des mois avant son décès. Ce n'est pas possible, c'est un cauchemar. Je leur envoie des colis de nourriture à Drancy et leurs écris tous les jours. Bientôt, une lettre de ma petite cousine nous fait savoir qu'ils sont sur le point de partir pour une destination inconnue. Cet enfer est donc sans fin ! Chaque catastrophe renforce ma résolution de ne pas nous laisser arrêter.

1943 – Le temps passe, malgré tout. Ma sœur et moi allons souvent à la Librairie Leprovost où nous retrouvons parfois le même groupe bien-pensant et parlons des dernières nouvelles.
Il n'y a presque plus de Juifs dans la région. Un ami de mon père, M. Émile Vessler, négociant très connu à Granville, a été arrêté en 1942 en essayant de traverser la ligne de démarcation et je pense que sa disparition a découragé mon père d'essayer aussi.
Puisque les Juifs ont été expulsés des écoles et universités, Rose-Marie prend des leçons particulières de plusieurs matières et de piano. Elle est vraiment douée pour la musique et mes parents seront heureux.
Tous les dimanches, je continue à me rendre au Commissariat de Police pour le pointage.

Novembre 1943 – Aujourd'hui nous nous trouvons à la Librairie Leprovost, Madeleine Tesnières-Ménard (que je connais depuis des années) est présente et nie dit soudain d'un air pensif : " Le docteur X (Israélite) a été vu hier entre deux gendarmes français à la gare de Folligny. " Mon sang ne fait qu'un tour. Je fais signe à Rose-Marie qu'il est temps de partir. Dès que nous sommes seules, je lui dis : " C'est bientôt notre tour. " Je n'ai pas besoin d'expliquer, malgré ses 13 ans, elle devine ce qui nous attend. Brave Madeleine, c'est sans doute elle qui nous a sauvé la vie sans le savoir. Aussitôt rentrée, je fais un plan qui nous permettra de nous échapper en sautant par une fenêtre de la salle à manger. J'explique les détails à Rose-Marie et à la bonne. Maintenant, ayons confiance en notre chance...
En attendant la suite de ce récit, je vais mentionner les noms des trois personnes qui habitaient Avranches et ont eu un rôle très important pour nous pendant la guerre : la famille Arsène Morel. Nous avons fait la connaissance de M. More] dès notre arrivée à Avranches. Il venait relever notre compteur à gaz pour sa compagnie, toujours aimable et prêt à rendre service. Mes parents se sont pris d'amitié pour lui et n'ont pas tardé à connaître M""' Morel. C'était un couple bien assorti. Quand leur fils unique, René, a quitté l'école, mes parents cherchaient un employé pour les aider dans leur commerce et remplacer celui qui venait de partir après 4 ans. René Morel a donc été engagé. Il venait tôt le matin et rentrait chez lui le soir après dîner. Notre personnel a toujours été considéré comme faisant partie de la famille. Quand les moments difficiles de l'Occupation sont arrivés et que papa a cessé de travailler, René Morel est resté chez nous, car tous les jeunes gens en chômage couraient le risque d'être envoyés en Allemagne. Quand nos parents ont été déportés, il faisait des travaux dans la maison et le jardin ou "bricolait " dans la cave à outils. Sa loyauté envers nous et son patriotisme étaient exemplaires, comme on va le voir.

22 novembre 1943 – 22 h – Nous n'avons jamais entendu la sonnette de la grille tirée avec une telle force. plusieurs fois. Ce sont " eux " ! Les portes sont bien fermées. Nous éteignons la lumière de la cuisine et, dans l'obscurité, je monte au premier étage jusqu'à la chambre d'amis où les volets, face à la rue restent ouverts. Ma sœur me rejoint. Nous nous accroupissons près de la fenêtre. Je me soulève un peu pour essayer de voir des silhouettes. Je ne vois que les feux de plusieurs cigarettes. Tout à coup un faisceau lumineux projeté d'une fenêtre de la maison à l'autre me force bien vite à me mettre à plat ventre. Nous nous attendons à tout, ils vont sans doute ouvrir le feu. Nous ne bougeons pas, plus mortes que vives.
Après un long moment, on n'entend plus rien. Ils ont décidé de repartir sans violence, croyant peut-être que nous couchions ailleurs. Maintenant, c'est certain : ils vont venir demain matin. Il est impossible de fuir à cause du couvre-feu et des patrouilles. II nous faudra attendre jusqu'à 8 h. Nous nous sentons comme des animaux traqués.

23 novembre 1943 – 8 h du matin – Nous sommes habillées et avons déjeuné niais, bêtement nous n'avons pas encore mis nos manteaux, et puis nous sommes très fatiguées par l'angoisse et le manque de sommeil. Le bruit de la sonnette de la grille retentit. Nous savons que ce sont " eux ", bien que nous ne voyions pas qui a sonné car les volets sont fermés et doublés de tissu fiancé pour le camouflage des lumières. J'ouvre la fenêtre du côté de la salle à manger et je saute dans le jardin. Rose-Marie saute aussi derrière moi. Je cours vers le garage. De l'autre côté de la maison, la bonne sort pour " les " faire entrer. Arrivée dans le garage, je me retourne. Rose-Marie ne m'a pas suivie ! La panique et le désespoir s'emparent de moi. S'ils attrapent ma sœur, je serai obligée de me rendre, je ne partirai pas sans elle. Au bout de quelques instants qui m'ont fait perdre dix ans de vie, la voilà qui arrive en courant : sans penser, elle était partie vers la cave, dans la direction opposée. Nous quittons le garage et nous nous précipitons dans la rue. Mon instinct me pousse à aller sonner chez M' Lambert qui ouvre sa porte, et nous voyant sans manteaux un jour de pluie de fin novembre, comprend ce qui se passe et nous fait entrer aussitôt.
Je murmure : " Ils sont encore chez nous. " Elle s'apprête et quelques minutes plus tard elle est en route vers la maison du D' Lebreton pour le prévenir et lui demander conseil. Avec M"` Lambert, nous restons très silencieuse à cause de la curiosité d'une voisine. Quand Me' Lambert revient, elle et sa fille nous prêtent leurs imperméables et nous descendons le boulevard désert avant que la nouvelle de notre arrestation manquée ne se répande. Ah ! les misérables, ils avaient l'intention de nous faire passer la nuit en prison et de nous faire partir avant le jour. On aurait appris notre arrestation comme un fait accompli. Rose-Marie et moi arrivons chez le docteur et Mme Lebreton. Ils nous offrent du thé servi par une jeune femme de chambre que je connais de vue et qui nous reconnaît, elle aussi. Avec toutes ces allées et venues, nous ne pouvons pas rester ici plus longtemps. Nous prenons congé de nos amis et traversons la place pour nous rendre chez M. et Mme Morel. Personne. M Morel travaille aujourd'hui. Alors il faudra attendre sous un porche. Il pleut et il fait froid. Ces 6 ou 7 h sont comme un cauchemar. Il faut que personne ne nous voie. A la maison, nous souffrions moralement, maintenant nous allons souffrir physiquement. Ma sœur me dit qu'elle croit avoir aperçu des gendarmes Français chez nous quand elle est passée en courant pour me rejoindre. Qu'importe ! Ils avaient les mêmes ordres. Enfin, René More, qui ne savait pas où nous étions nous aperçoit en rentrait chez lui. Il s'empresse d'aller prévenir son père. Mme Morel rentre du travail et nous fait monter dans leur petit appartement. Après un repas bienvenu, M. Morel nous annonce qu'il a fait des arrangements avec le Directeur de l'usine à gaz, Henri Bitard* qui a la bonté de nous accueillir chez lui. Vers 19 h 30, Rose-Marie, M. Morel et moi nous mettons en route pour l'usine à gaz. Nous traversons la ville et tout me semble étrange, la vie à l'air de continuer pour les quelques personnes que nous croisons dans l'obscurité. Elle semble s'être arrêtée pour nous depuis longtemps. Nous nous doutons que c'est sans doute la dernière fois que nous traversons la ville à pied avant la fin de la guerre. Nous sommes sans bagages, avec des imperméables empruntés et, en chaussons, nous marchons vers une destinée inconnue.
Henri* et Madeleine Bitard* nous accueille chaleureusement et nous disons au revoir à notre cher M. Morel. Madeleine Bitard* nous conduit au premier étage dans une belle chambre bien chauffée. Ce sera notre chambre.
Nous jouissons d'une certaine liberté au sein de la famille Bitard, mais nous ne pouvons ni sortir, ni nous approcher d'une fenêtre de peur d'être reconnues par les ouvriers travaillant dans la cour. Madeleine Bitard* est une excellente cuisinière et leur petite Gisèle apporte l'élément joyeux et innocent qui nous a tant manqué ces dernières années. Plus d'étoile jaune, plus de pointage, plus de son rythmique de bottes de l'oppresseur sur la route. Nous pouvons parler ouvertement devant quelques amis de la famille Bitard. Sans cela, nous sommes dans notre chambre en train de lire des livres de la très bonne bibliothèque qu'ils ont ici. Nous pouvons recevoir des amies sûres comme Mlle Nativelle qui nous tiennent au courant de ce qui se passe en ville.

24 novembre 1943 – Les Teutons ont placé des barrages et passent la journée à fouiller tous les véhicules qui montent ou descendent la rue de la Constitution, pour nous trouver. Ils vident tout le foin de la voiture à cheval d'un fermier, pensant que nous sommes cachées dessous. C'est un petit triomphe pour nous car pendant que ces idiots perdent leur temps de cette manière, ils ne font rien d'utile pour leur armée.
Notre bonne, Augustine Poirier, est rentrée chez elle puisqu'il n'y a plus personne chez nous. Tous les jours, dès la tombée de la nuit, René Morel sort tout ce qu'il peut de la maison, petit à petit, et porte les paquets chez des amis. Un déménageur transporte le piano de Rose-Marie chez Mme Adam. Le mobilier reste où il est. Nous avons maintenant des vêtements et deux valises. Je fais part à mon oncle (le frère de maman) de Paris des derniers événements et lui donne l'adresse de Henri Bitard*. Sa fille, qui a d'excellents faux papiers d'identité et peut ainsi voyager sans danger, vient à Avranches. Que nous sommes heureuses de nous revoir ! Mais le temps presse et je la charge d'une mission importante. Mes parents m'avaient parlé d'une petite caisse de métal qui était enterrée dans le jardin, mais ne m'avaient donné qu'une idée approximative de l'endroit où elle était. Il faudra que René Morel, accompagné de ma cousine, creuse pendant de longues heures dans le froid et l'obscurité pour trouver cette petite caisse. Le lendemain, ma cousine va en confier le contenu au docteur Lebreton qui me le remettra intact après la Libération. Avant de repartir pour Paris, elle vient nous dire au revoir, tout le monde admire sa beauté et son courage : son mari a été arrêté en essayant de traverser la ligne de démarcation près de Dax et elle est restée avec un petit garçon de deux ans, Philippe. Nous nous embrassons et je remercie ma cousine du fond du cœur d'avoir fait le voyage de Paris pour nous... Nous ne la reverrons plus. Arrêtée après une dénonciation en 1944, elle est morte du typhus quelques jours après la libération de son camp par les Alliés. Elle avait 25 ans.
Les jours passent. J'apprends que plusieurs avocats de la ville ont eu la gentillesse de faire mettre les scellés sur la porte de notre maison. Les Boches n'ont de respect pour rien : quelques jours plus tard, cinq soldats allemands s'installent chez nous.
Sœur Mondo, Mère Supérieure des Sœurs de Saint-Vincent de Paul, vient faire notre connaissance. C'est une grande femme au regard profond qui donne un sentiment de sécurité.
Je crois que c'est M. Rousselet qui me tend un jour ce qui sera ma fausse carte d'identité. Il faut que je la remplisse. Elle porte une signature officielle, paraît-il, est très semblable à celle de la personne courageuse qui l'envoie. Malheureusement, je n'ai jamais appris qui c'était, mais je ne l'oublierai pas.

Fin 1943 – Ce qui caractérise toute cette époque, c'est que nous ne savons jamais le matin où nous serons le soir. Il est temps de quitter la famille Bitard qui s'est mise en danger pour nous pendant quarante jours.
Début janvier 1944 – Anne-Marie Martin, née à Oran (libéré par les Alliés) et sa sœur Rose-Marie Martin, apprennent qu'elles vont aller à Caen, dans un couvent. "Tous les arrangements sont déjà faits. Des gens sûrs et dévoués, dont Sœur Mondo, les accompagneront. Un matin de très bonne heure, nous prenons congé de Henri Bitard*. Nos larmes coulent silencieusement. (Rose-Marie m'a dit bien des fois qu'elles se rappelle ce départ comme l'un des moments les plus angoissants de la guerre). Une auto de couleur foncée nous attend. Henri Bitard* et deux autres personnes viennent avec nous. Sœur Mondo est assise à l'arrière entre Rose-Marie et moi. Tout le monde est silencieux. M. Morel et son fils partent pour voir s'il y a des patrouilles ou des barrages. Le champ est libre, la voiture se met en marche. Le voyage est très vague dans ma mémoire. Nous arrivons à Caen, Quai Vandœuvre, où nous entrons dans le couvent des Petites Sœurs de la Charité et, après nos adieux et nos vifs remerciements, nous nous séparons de nos courageux compagnons de voyage qui reprennent le chemin d'Avranches. La porte du couvent se referme derrière nous et nous voici dans un monde inconnu, celui des religieuses cloîtrées.
De jeunes étudiantes prennent demi-pension au couvent. Il n'y a que quelques personnes qui savent qui nous sommes. Quelqu'un nous conduit pour faire connaissance de la Mère Supérieure, une sainte femme, paraplégique depuis une opération. On appelle les religieuses Madame. Elles sont toutes habillées de blanc et chacune s'occupe d'un groupe de jeunes filles. Notre surveillante, Mme de l'Enfant Jésus, est jeune, très sympathique et deuxième prix de piano du Conservatoire. Donc, c'est une chance pour Rose-Marie, elle pourra continuer ses leçons de piano avec un excellent professeur. Il y a aussi l'indispensable Mlle Lucie qui habite et travaille au couvent. Comme elle sort, elle fait les courses, elle fait de tout avec une énergie incroyable, malgré ses cheveux blancs. Elle est au courant de la raison de notre présence ici et s'arrange pour nous procurer des cartes de rationnement. C'est un ange.
Les énormes bâtiments sont vétustes, grisâtres et très déprimants. Notre chambre, sans chauffage, est de l'autre côté de la cour, on dirait un couloir peint en vert. Nous sommes dans l'aile réservée aux Madeleines, religieuses pénitentes, qui prennent soin de très vieilles femmes que nous apercevons parfois en passant. Nous allons au réfectoire avec les étudiantes pour les repas ; la nourriture est mauvaise et insuffisante. De temps en temps, le père d'une des jeunes filles, qui est fermier, envoie de la farine blanche et nous avons d'excellents petits gâteaux comme dessert.
Assez souvent, nous sortons rendre visite à la famille de M. Touchard, ancien Commissaire de Police à Avranches, muté à Caen à la suite d'une dispute avec la Feldgendarmerie. Rose-Marie était en 6e avec leur fille Jeanne, au Collège Littré. Ils nous invitent toujours à déjeuner et c'est un vrai régal.

Février 1944 – On dirait que les alertes viennent plus souvent. Par leur son, nous reconnaissons les avions de la R.A.F. la nuit et les avions américains quand le jour est clair.
Rose-Marie a mal à la gorge et une grosse fièvre ; elle est couchée dans cette chambre glaciale et humide où un vieux médecin vient la voir et me recommande de badigeonner cette gorge enflammée plusieurs fois par jour avec un liquide que M Lucie devra aller chercher chez le pharmacien. Chaque fois, je retire du pus de ses amygdales gonflées. Elle a du mal à avaler le peu de nourriture que je lui apporte. Elle dort beaucoup. Qu'allons-nous devenir ? Après des journées interminables, sa fièvre baisse, elle avale un peu mieux. Je l'emmène très couverte dans une grande salle commune où il y a un peu de chauffage. Elle est très faible et si pâle... Nous recevons régulièrement du courrier de mon oncle et ma tante (la sœur aînée de maman) qui s'étaient réfugiés dans l'ancienne zone libre en 1941. Notre situation les inquiète beaucoup, bien qu'ils soient eux-mêmes en danger constant. Ils sont maintenant près de Lyon, avec de faux papiers d'identité. Dès qu'elle peut sortir, j'emmène Rose-Marie chez un spécialiste qui recommande l'ablation de ses amygdales. Hélas ce n'est pas possible à l'heure actuelle, puisque nous vivons cachées sous de faux noms, toujours en danger d'être reconnues. On ne va pas à l'hôpital dans des conditions pareilles, il faut attendre.

Mars 1944 – Nous changeons de chambre. Celle-ci est dans l'immeuble principal, plus accueillante, mais elle n'a qu'un lit trop petit pour deux personnes. Un dimanche après-midi, nous décidons d'aller au cinéma. Le film est, paraît-il, un " navet " mais nous n'avons eu aucune distraction depuis des années, ce sera un changement. Au cinéma, je fais la queue pour acheter les billets quand Rose-Marie me pince le bras : c'est un signe de danger. Je la suis et, une fois dehors, nous nous mettons à courir à toutes jambes vers le couvent. Dans la foule, ma sœur a aperçu J. L., originaire d'Avranches, il est milicien. Heureusement, elle l'a reconnu tout de suite car lui aussi l'a reconnue, il allait au Collège Littré. Les Alliés sont avec nous ! Pendant que nous courons, les sirènes retentissent, ce doit être sérieux, on entend la D.C.A. Des civils se précipitent vers les abris. Qu'importe, nous courons sans nous arrêter une seconde, ce milicien peut être plus dangereux pour nous que les bombes. Enfin, nous arrivons au couvent sans avoir été suivies.

Fin mars 1944 – Les alertes se succèdent jour et nuit, les murs tremblent. Nous dormons tout habillées, avec une petite valise à côté du lit et nous sommes très fatiguées. Mon oncle et ma tante nous demandent instamment de venir les rejoindre dans la région de Lyon et cette idée nous tente de plus en plus. Une nuit, à 1 h 30, nous entendons des avions anglais. Tout à coup, il y a des explosions. Nous apprenons le lendemain matin qu'ils ont atteint une locomotive dans la gare et qu'un employé a été tué. Le tout n'a duré que quelques secondes.

Avril 1944 – C'est décidé, malgré tous les risques, nous allons quitter la Normandie. J'ai parfois l'impression que le plancher me brûle les pieds ici et je me fie à mes pressentiments. Je fais part de ma décision aux Religieuses : nous partirons vers le 15 avril pour Paris où nous nous arrêterons une journée chez mon oncle et continuerons notre voyage vers Lyon le lendemain matin. Nous disons un au revoir chaleureux aux Petites Sœurs de la Charité et leur exprimons notre reconnaissance pour leur hospitalité. M"^ de l'Enfant Jésus ne peut retenir ses larmes. Pendant ces derniers mois, elle s'est prise d'une vive amitié pour nous.
C'est réciproque. Ses leçons de piano étaient excellentes pour le moral de Rose-Marie. Le dimanche matin, elle nous prie d'assister à la messe et, à la fin, elle joue une valse de Chopin à l'orgue, c'est magnifique.
Le jour du départ, notre dévouée Mlle Lucie nous accompagne à la gare et promet de nous envoyer nos cartes de rationnement dès qu'elle recevra notre nouvelle adresse. Nous l'embrassons bien fort avant de partir. Je regarde autour de moi avec soulagement, toujours ces pressentiments...
Nous voici maintenant à Paris où tant d'horribles choses se sont passées depuis ma dernière visite. Je ne connais presque plus personne ici. Les rues de la ville ont l'air vide de civils. Arrivées chez mon oncle et nia tante, nous nous embrassons en pleurant. Ils sont, bien sûr, au courant de nos malheurs, mais d'une voix qu'ils essayent de garder calme, ils nous font part des leurs : leur fils (30 ans) et sa femme qui étaient à Aix-les-Bains ont été déportés récemment. Un milicien l'a provoqué dans la rue et, indigné, mon cousin qui a fait la " drôle de guerre " lui a répondu du tac au tac. Ensuite, ma cousine, qui était venue chez Henri Bitard*, a été dénoncée et déportée quelques semaines auparavant. De nouveau, Rose-Marie et moi avons l'impression de vivre un cauchemar. Je regarde ces gens d'un certain âge, si courageux, à qui on a pris tous leurs enfants. Ils ont mis leur petit-fils en nourrice à côté de Paris et ont loué une ancienne fabrique de jouets au sous-sol de leur immeuble. C'est là qu'ils couchent. Cette nuit-là, je ne dors que d'un œil. J'ai peur d'entendre frapper à la porte. Quelle explication donner pour notre présence ici ? Et puis, sur une chaise, je vois le manteau de fourrure que ma chère cousine portait à Avranches...
Après des adieux déchirants, c'est notre ami commun, l'inspecteur de Police, qui nous accompagne à la Gare de Lyon le lendemain matin. Le voyage est long. Ma sœur et mois sommes assises près de la fenêtre, l'une en face de l'autre. Le compartiment est plein. Personne ne se parle, tout le monde a l'air de se méfier. A Chalon-sur-Saône, sur l'ancienne ligne de démarcation, deux officiers allemands ouvrent soudain la porte, le train est en marche : vérification d'identité. J'ai un coup au cœur, mais ce n'est pas le moment de faiblir.
Quand mon tour vient, le Teuton regarde ma carte d'identité, la tourne, la retourne, la tourne encore, me regarde, je pense que c'est "Oran" qui l'intrigue et je suis sur les charbons ardents. Finalement, il me rend ma carte, et fait signe à Rose-Marie que c'est son tour. C'est moi qui réponds d'une voix que je veux très assurée qu'elle n'a que treize ans, donc pas encore besoin de carte d'identité. La porte du compartiment se referme, une fois de plus nous l'avons échappé belle.
Les voyageurs s'apprêtent, nous arrivons à Lyon. Sur le quai, nous apercevons nia tante et mon oncle. Notre émotion est indescriptible, sans parler de la leur. Pendant trois ans, nous avons correspondu en code, sans rien pouvoir écrire ouvertement, c'est fini maintenant. Quoiqu'il arrive, Rose-Marie et moi avons gagné un sentiment de sécurité morale qui nous a tant manqué dans les années de solitude. Ma tante a dix ans de plus que maman, et leurs enfants (mes deux cousines) sont mariées et mères de famille. Elles sont réfugiées ailleurs. Mon oncle qui a connu maman quand elle avait dix ans, nous a toujours traitées comme un père. Il est si bon.
Nous quittons Lyon pour Meyzieu à une dizaine de kilomètres de là. Ils résident dans une maison de santé dont le médecin-propriétaire a donné asile à des réfugiés de tous les pays quand ils se sont trouvés en France après l'invasion allemande. Ils ont tous de faux papiers, mais certains parlent à peine le français. Nous logeons dans un pavillon séparé, l'Orangerie. Tout y est neuf, il n'y a pas de barreaux aux fenêtres bien que ce soit une clinique psychiatrique, et les jardins sont superbes. C'est cher, mais nous n'avons pas le choix.
Rose-Marie se sent mieux grâce à l'air sec et pur. La nourriture est bien préparée mais insuffisante, c'est pourquoi mon oncle part souvent à bicyclette pour le ravitaillement et revient avec 1 kg de beurre ou un pain blanc qui coûtent un prix astronomique. Ma tante, femme très capable, a perfectionné son art de faire la cuisine en regardant travailler le chef de l'hôtel saisonnier que mon oncle et elle tenaient à Houlgate (Calvados) avant la guerre. Elle nous surprend souvent avec des desserts délicieux. Nous pouvons sortir presque tous les jours dans la petite ville où les commerçants sont discrets et serviables.

Mai 1944 – Il paraît que la Gestapo et la Milice sont très actives à Lyon la nuit. Et puis, il y a les bombardements sur l'aéroport de Bron qui ont lieu le jour, en général. Nous n'avons pas trop peur, maintenant c'est aux Allemands d'avoir peur.

6 juin 1944 – Nous sommes réveillés par des coups de poing dans le mur donnés par la dame parisienne de la chambre voisine. Elle crie de toutes ses forces : " Les Alliés ont débarqué en Normandie ! " Tout le monde court vers elle. Elle croit avoir compris que c'est du côté de Cherbourg. Maintenant c'est ma sœur et moi qui devenons les " experts ". Nous avons entendu le nom de Sainte-Mère-Église. Après cet événement capital, nous ne savons plus grand-chose. Nous nous demandons ce qui se passe en Normandie. Nous avons entendu dire que Caen et Saint-Lô sont en ruines, que la population civile a pris refuge à la campagne un peu partout mais qu'il y a eu beaucoup de tués parmi les civils. Dans les mêmes moments, je surprends la fin d'une conversation entredeux Viennoises : " Des rumeurs venues de Suisse rapportent que deux millions de Juifs ont été assassinés en Pologne... "
J'ai l'impression que je vais étouffer, mais je me remets aussitôt en me disant : "Voici encore les paniquards, il y en a partout ! Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir de particulier en Pologne '?

Fin juillet 1944 – Un dimanche après-midi, tout le monde se tait soudain pour écouter le vrombissement des avions américains qui volent très haut dans un ciel sans nuages. Bron est visé de nouveau. Les avions viennent par vagues, sans cesse pendant cinq heures ! Malgré l'angoisse, nous nous réjouissons. Qu'est-ce que les Boches ont dû prendre !
Nous connaissons quelques personnes et essayons de passer le temps en conversant ou en nous promenant dans les grandes allées où se trouve une maison fermée d'où les malades ne sortent pas. Un après-midi, plusieurs réfugiés et moi décidons de prendre l'air, j'ouvre donc la porte et me trouve en face d'un individu en civil qui tient un revolver pointé dans ma direction : " Police allemande ! Est-ce qu'elle est juive ?", demande-t-il au docteur Courgeron qui l'accompagne. Le brave médecin a l'air si tendu qu'on le croirait muet. Après un temps infini, il répond : "Non. " L'autre m'ordonne d'aller dans ma chambre où, dit-il, il vérifiera mes papiers plus tard. On sent que la panique s'empare des gens qui me suivent. Après le départ du bandit (il n'est pas venu à l'Orangerie), un vieux couple alsacien qu'il a terrorisé s'aperçoit qu'il leur a pris beaucoup d'argent et de bijoux. Une jeune femme autrichienne, qui a sauté par-dessus un mur, est ramenée d'urgence, elle est en train de faire une fausse-couche. Heureusement, il y a un médecin qui peut s'occuper d'elle.

Août 1944 – Cet été est particulièrement chaud et sec. La chaleur et les moustiques nous empêchent de dormir. L'eau est rationnée et nous sommes tous déshydratés. Je ne pèse plus que 45 kg pour 1,60 m. Il n'a pas plu depuis des mois. Les nouvelles de Normandie sont assez rares. Nous ne pouvons plus sortir et les hautes portes menant dans la rue sont toujours fermées. Quelqu'un a vu des soldats allemands, de jeunes recrues, qui frappaient à toutes les portes à coups de baïonnettes comme s'ils cherchaient un endroit pour se cacher. Tous les habitants de Meyzieu ont fermé leurs persiennes.

3 septembre 1944 – Les quelques jeunes Français qui se cachaient à la Clinique pour ne pas aller travailler en Allemagne ont disparu. Finalement, après tous ces mois de sécheresse, voici un orage, il pleut à torrents et les rues sont inondées. Quelqu'un ouvre la porte pour regarder dehors et on entend un cri : " Des soldats étrangers ! " Je suis curieuse d'aller voir, mais ma tante me retient : " Ce sont sans doute les Boches ! " On entend d'autres cris venant de la rue : " Les Américains sont ici, voilà leurs tanks ! " C'est du délire, les gens s'assemblent sur les trottoirs sous une pluie diluvienne et applaudissent, leur donnent des fleurs, agitent de petits drapeaux, certains versent des larmes de joie. Les Américains nous sourient, saluent, lancent des cigarettes, du chocolat. Je suis muette d'émotion, je ne pensais pas voir ce beau jour. Je crois rêver. Ils s'arrêtent et l'enthousiasme est à son comble. Même la pluie cesse de tomber, et un arc-en-ciel merveilleux apparaît. Quelqu'un prend des photos. Dans cette région, peu de gens parlent anglais. Celui que j'entends est un peu nasal, pas comme celui que j'ai appris. C'est de l'américain, tout simplement. On m'appelle de tous les côtés : " Demandez-leur ceci, demandez-leur cela ! " C'est la 7e armée du Général Patch. Ils ont fait l'Afrique du Nord et la campagne d'Italie et, le 15 août ont débarqué à Saint-Raphaël en même temps que les Français libres. Beaucoup ont la malaria. C'est une armée de civils, pas de fanatiques, ils font leur devoir pour leur pays, c'est tout. Ils montrent les photos de leur femme, de leurs enfants qu'ils n'ont pas vus depuis longtemps. Ils sont assis à des petites tables sous la véranda où on leur a servi des rafraîchissements. Quand je passe, un Américain me fait signe et me tend un paquet de cigarettes avec un sourire, par gentillesse, comme pour me remercier de comprendre la langue de son pays. Puisque je ne fume pas, je le donnerai aux réfugiés. Il y a bien longtemps que nous n'avons pas vu des êtres humains en uniforme de soldat. Le lendemain, les F.F.I. arrivent. C'est eux que les jeunes Français de la Clinique sont allés rejoindre ! La petite ville est en fête, on entend la musique qui vient de haut-parleurs. Les Américains installent de grandes tables dans la cour de la Clinique et les couvrent de nourriture pour la population affamée. Mais la guerre continue. Les convois repartent. Maintenant que nous sommes libres, nous nous rendons compte plus que jamais comme nous sommes amoindris, et comme les persécutions que nous avons subies nous ont changés. Quand on a lutté ainsi pendant des années, on est désorienté quand c'est fini. On se dit : "Qu'est-ce que j'avais donc fait ? " et on se sent presque coupable à force d'avoir été dénigré.

Fin septembre 1944 – Après quelques semaines, mon oncle et ma tante décident que nous irons à Aix-les-Bains attendre qu'il y ait des trains pour Paris. Nous quittons l'Établissement Médical dans une ambulance louée par mon oncle. Ce moyen de transport astucieux nous permet de voyager jusqu'à Aix-les-Bains confortablement. Mon oncle y avait trouvé un petit appartement avec deux chambres et cuisine, très plaisant. Le climat est froid mais sain. Les magasins du centre de la ville sont superbes et ma sœur et moi regardons les beaux habits avec envie. Nous aurions bien besoin d'une nouvelle garde-robe, mais il faut être raisonnables, qui sait ce qu'il nous reste en Normandie, après toute cette dévastation ?
Sous peu, il va y avoir des trains de Lyon à Paris et nous nous apprêtons à quitter Aix-les-Bains après trois mois. Vers quoi allons-nous ? Rose-Marie et moi ? Vers des ruines ? Mon oncle et ma tante devront être hébergés par une de leurs filles. (A Paris, dès que les Israélites étaient arrêtés ou en fuite, leur appartement était aussitôt vidé de son contenu). Assez aisés avant la guerre, ils se retrouveront comme des réfugiés dans la ville où ils ont toujours vécu. Dans la cinquantaine, il faudra qu'ils recommencent à zéro. Dépenser sans compter, sans avoir de revenu pendant des années est le prix qu'il leur a fallu payer pour survivre, et on peut les considérer comme privilégiés ! C'est le sort de la plupart des survivants.
Empilés comme des sardines dans le train pour Paris, nous y parvenons 24 h après notre arrivée à Lyon. Nous nous rendons en fiacre (ce sont les nouveaux taxis) chez le frère de maman. Pendant le voyage, je vois que ma tante et mon oncle souffrent de ne pouvoir nous héberger, c'est encore une séparation pénible pour tous après ces derniers huit mois, mais nous pourrons aller les voir. Je suis trop fatiguée pour penser. Il est 10 h du matin. Notre autre tante, belle-sœur de maman, nous fait déjeuner et, au lit ! Quand je me réveille, il fait nuit. J'ai dû dormir pendant 12 h.

Décembre 1944 – Bastogne, c'est grave et inattendu. Les Américains subissent des pertes considérables et la panique s'empare de nous tous. "Ils" ne peuvent pas revenir, ce serait trop affreux. Heureusement, c'est le dernier soubresaut du monstre avant la fin. Les Teutons ont encore eu l'audace de faire parvenir un ultimatum au Général McAuliffe qui leur a donné sa célèbre réponse : "Nuts !" Il était bien poli.

Janvier 1945 – II nous faut rentrer à Avranches pour voir la situation. Ma cousine demande à un capitaine français s'il peut nous y conduire, moyennant finance. "Pas assez d'essence. " Quelques jours après, il lui fait savoir qu'il accepte, et mon oncle (avec qui nous étions à Meyzieu) ma sœur et moi, nous mettons en route pour la Normandie. Peut-être trouverons-nous davantage d'essence en route en demandant aux Américains. Partout c'est la même réponse, après nos explications : " Nous regrettons, mais nous sommes encore en guerre. "
Je ne reconnais plus les villes que je traversais avant la guerre pour aller en vacances à Paris. Les dégâts résultant des bombardements dans la région sont horribles. Parmi d'autres, Argentan m'a particulièrement surprise, c'est incroyable, des villes-fantômes couvertes de neige. En atteignant Villedieu-les-Poêles, j'aperçois le camion de mon père au haut d'une côte. Il sert à transporter le courrier pour les P.T.T. Je connais le conducteur qui n'a pas l'air enchanté de nous revoir : je me rends compte qu'il porte un complet neuf de mon père que René Morel avait dû lui confier.
Finalement, nous atteignons Avranches dont les rues sont déblayées. Rue de la Constitution, au lieu des magasins et habitations, il y a de grands trous profonds comme leurs caves. Notre premier arrêt est à la mairie où M. Laquère, ancien vétérinaire, est maire par intérim. Il nous reçoit chaleureusement et nous demande de ne pas hésiter à lui faire savoir s'il peut nous aider. Je lui explique notre problème : l'officier grâce à qui nous avons pu rentrer doit retourner à Paris dans les 24 h et est à court d'essence pour sa voiture. M. Laquère nous prête ses tickets. Sa générosité nous touche.
Avec mon oncle, nous allons voir M. et Mme Morel qui nous accueillent à bras ouverts. Leur fils, René, fait son service militaire, ils nous invitent donc à occuper sa chambre. Jusqu'à son départ, le lendemain, mon oncle sera hébergé chez des amis. Nous apprenons que notre maison est en très mauvais état, presque inhabitable : une bombe est tombée sur une maison en face et notre garage n'existe plus. Un couple avec quatre enfants occupe ce qui reste de la maison. Le mari vient d'obtenir un poste à Avranches et les autorités ne savaient pas où les loger. Il faudra donc que je cherche un petit appartement et, en attendant cette famille peut garder le mobilier car je n'ai pas où le mettre. C'est tout ce qui reste jusqu'à ce que nous puissions récupérer nos affaires dispersées chez les uns et chez les autres. Nous mangeons un bon repas normand dans un petit restaurant, et mon cher oncle rentre à Paris avec le Capitaine. Le voyage l'a beaucoup fatigué. Nous sommes très à l'aise chez M. et Mme Mord, mais c'est maintenant que commence pour moi une tâche difficile. D'abord, je trouve un appartement qu'un employé de la ville nous montre : 2 pièces avec cuisine. C'est vieux, immense et glacial, mais c'est en ville près de tous les magasins, rue des Chapeliers. Je demande 24 h pour réfléchir. Le lendemain quand je lui dis que nous l'acceptons, il me fait savoir qu'il a des sinistrés intéressés par cet appartement et qu'il a décidé de leur donner la priorité. Sa raison pour se dédire me rend furibonde. Dès que j'ai vu l'appartement (qui n'est que le rez-de-chaussée d'une vieille maison bourgeoise), j'ai compris qu'il s'attendait à un pot-de-vin. S'il avait agi autrement, je lui aurais fait un cadeau pour le remercier. Au lieu de cela, je vais trouver M. Laquère et lui raconte ce qui s'est passé. M. Laquère est furieux : " Vous avez assez souffert, l'appartement est à vous ! " Quel brave homme ! Cela compense pour toute la méchanceté que nous avons vue.
La Citroën traction-avant de mon père, presque neuve, avait été volée par les Allemands et abandonnée sur la route. C'est un Français qui s'en est emparé (je sais que c'est un ancien collaborateur). Il l'a abandonnée aussi et c'est le Capitaine de Gendarmerie qui s'en sert. Dès qu'il apprend qu'elle est à nous, il fait le nécessaire pour qu'elle nous soit rendue. On dirait maintenant une vieille auto très usagée. Elle sera garée sous le porche de la maison Nativelle, jusqu'à ce que je la vende.
Je suis lasse de lutter pour récupérer nos affaires et vais demander à M` Hérault de nous aider ; il accepte. Avec beaucoup de difficulté, il parvient à arracher des objets qui nous appartenaient à des gens en qui mes parents avaient confiance mais qui n'étaient pas sincères et étaient déçus de nous revoir. Ils rendaient ces objets à contrecœur.
Finalement, nous nous installons rue des Chapeliers. Maintenant, il faut que je m'occupe des collaborateurs qui nous ont fait du mal. Je passe des heures à témoigner au Commissariat de Police, bien que tous les individus avisés aient déjà des dossiers contre eux. La femme R. est en fuite, R.. épicier, a dû être questionné sans s'y attendre. Le sieur V. que j'ai entendu faire de la propagande nazie à la gare de Folligny en octobre 1942, a été condamné à l'indignité nationale et à la confiscation de son café. Il étai

17/11/2013
Auteur : Anne-Marie Mainemer

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