|
Texte pour ecartement lateral |
Liane Misès
|
Texte pour ecartement lateral
Colombes 92700 - Hauts-de-Seine
|
|
Histoire
Témoignage de Liane Misès
Je souhaitais depuis longtemps faire figurer parmi les Justes les personnes qui nous ont hébergés, cachés et sauvé la vie, à mes parents et à moi pendant la dernière guerre.
Les aléas de l’existence ont fait que je n’ai pas constitué plus tôt un dossier.
Lorsque la guerre éclata, nous habitions la banlieue de Paris, à Colombes.
Après la débâcle, nous nous retrouvâmes à Marseille, où l'usine d'aviation dans laquelle travaillait mon père, ingénieur, avait été mobilisée.
Lorsque les rafles commencèrent, après maintes péripéties, nous rejoignîmes un cousin de mon père, Jacques Marguliès, sa femme Sarah, sa fille Diane, et sa mère Rachel Misès.
C’est là, à Saint-Léonard-de-Noblat, en Limousin, que nous fûmes accueillis, cachés, sauvés par la famille Lajat , chez lesquels nos cousins s'étaient réfugiés.
Monsieur Lajat, charpentier scieur, possédait une scierie, qu’il avait héritée de son père. C’était un artisan solide, aux moustaches poivre et sel. C’est le souvenir que j’en ai.
Sous son physique un peu rude, se cachait un cœur d’or, une morale sans faille. Je ne pense pas qu’une seule fois le danger que représentait notre judéité lui ait posé problème. Il avait d’ailleurs, avant notre venue, au cours de la débâcle, hébergé au passage les Dreyfus, juifs émigrés d’Alsace. Lesquels gardèrent un contact également, après guerre, avec la famille Lajat.
On n’avait pas idée de ce que représentaient les camps de concentration. Mais quiconque cachait un Juif pouvait être arrêté et déporté. Cela, on le savait.
Je revois Madame Lajat, une femme discrète, courageuse, allant de la cuisine au potager, cassant courageusement des bûches sur un billot.
Les Lajat avaient deux filles, Marie-José (Marie-Jo) et Yvonne (Vonette), respectivement âgées de 25 et 17 ans en 1942, lors de notre arrivée à Saint Léonard.
Vonette était une mince jeune fille blonde, fragile. A l’opposé, Marie-Jo, brune et pleine d’allant, parcourait les chemins sur son vélo. C’est ainsi que je me les rappelle.
Mes parents et moi avions deux pièces, au premier. La toilette se faisait dans une cuvette. On se chauffait par une cuisinière à bois…
Très rapidement, nous nous sentîmes intégrés dans la maison. Mon père et Jacques aidèrent Madame Lajat à casser du bois. Jacques , médecin, nous prodiguait ses soins.
Le dimanche, nous partagions la polka (tarte à la crème) de Madame Lajat dans leur salle à manger. Monsieur Lajat ouvrait alors une bonne bouteille qu’il avait en réserve, en disant rituellement : "Encore une que les Boches n’auront pas !". Il avait fait la guerre de 14-18, dans le génie, et nous racontait ses souvenirs, le chemin des Dames...
Et puis, il y avait toute cette vie paysanne que je n’aurais jamais connue autrement : les poules de Madame Lajat, les massepains de Saint Léonard,, les crêpes de sarrasin, les pommes chapardées le long des chemins, les animaux, la nature...
Deux jeunes gens, dont je sus plus tard qu’ils étaient juifs, furent également hébergés et cachés : Jacky et Josué. Je ne me souviens plus de la durée de leur séjour, ni des dates. Je sais que "Jacky" revoit de temps en temps Marie-Jo.
A la rentrée, Diane et moi allâmes au Collège de Jeunes Filles, en 5e, je crois. L’attitude de la majorité des professeurs à notre égard fut remarquable. Nous eûmes les clefs d’une sortie de secours, au cas où les Allemands viendraient nous chercher…Je sus après la guerre que la directrice, Madame Lalo, cachait comme pensionnaires des élèves juives sous de faux noms.
Assez rapidement, en Limousin, la situation des Juifs devint précaire. Il y eut des dénonciations.
Monsieur Lajat eut une idée de génie !
Dans la cave, il construisit une cachette, en bâtissant, parallèlement à un mur préexistant, un faux mur de brique.
Cette cachette devait avoir environ un mètre de profondeur, sur trois mètres de long. Elle doit encore exister, sans que les nouveaux occupants en sachent rien !
A l’intérieur, il y avait un banc, un seau, de l’eau, un croûton de pain…
A la moindre alerte, nous devions nous réfugier dans ce réduit.
Jacques et mon père assurèrent à tour de rôle le guet, assis devant une fenêtre qui donnait vue sur la rue menant au village. Combien d’heures passées…
Deux ou trois fois, nous descendîmes à la cave. Par chance, les Allemands qui nous recherchaient n’avaient pas de chiens, qui auraient pu trouver notre trace.
1942-1943 : la bataille de Stalingrad. Radio Londres.
Nous étions tous réunis autour d’un poste de radio. Sur le mur, une carte de la Russie, des punaises fixant de petits drapeaux et traçant la ligne de front soviétique…Optimisme et détresse se succédaient !
Mai 1943 : rafles.
Nous nous terrions derrière les volets fermés. Diane et moi n’allions pas à l’école. Nous parlions à voix basse...
Je ne me souviens plus quelle fut la durée exacte de notre enfermement (nous avions fait courir le bruit que nous étions partis). Je me souviens des boutons d’or entrevus à travers les persiennes, taches jaunes parsemant l’herbe d’un vert intense.
Ce fut Marie-Jo qui, cette fois, nous sauva.
Il n’était pas question d’acheter des vivres pour sept personnes sans que cela ne paraisse suspect.
Elle prit donc son vélo, et avec tous les risques (elle me raconta par la suite qu’elle fut contrôlée à plusieurs reprises par une patrouille allemande), elle alla le samedi et le dimanche acheter de quoi manger, dans des villages éloignés. Elle risquait sa vie... S’en rendait-elle compte ?
De temps en temps mon frère, Roger, sensé faire ses études, et en fait au maquis, venait nous rendre visite, à la grande joie de tous.
Il y eut l’épisode marquant des jeunes maquisards qui se cachèrent dans la maison pendant une nuit. Ils portaient fusils et mitraillettes et nous impressionnaient. Le Limousin avait formé un des premiers maquis…Les Lajat risquaient gros si les Allemands les avaient découverts…
En juin 1944, nous apprîmes le massacre d'Oradour, et cela nous bouleversa.
A la Libération, mon père retourna à Paris et fut engagé au bureau d'études de Dassault.
Nous restâmes, ma mère et moi, jusqu’à l’automne 1945 à Saint Léonard. Je me souviens encore du 8 mai et des cloches qui sonnaient à la volée. J’étais en classe. On nous lâcha… Tout le monde était dans les rues !
Des liens d’affection s’établirent avec cette famille. Après la guerre, je passais toutes mes petites vacances chez les Lajat. Je me sentais chez moi.
A la Toussaint, mon père avait deux jours de congé : nous prenions la voiture dès l’aube, pour aller les embrasser.
Monsieur Lajat décédé, les visites s’espacèrent. Mais nous nous tenions au courant de tous les évènements familiaux, comme eux des nôtres.
Mari-Jo vint aussi à Colombes. Elle habita un moment chez nous.
Un été, je passai des vacances avec Vonette qui avait fait sa vie à l’étranger.
Marie-Jo et moi, nous nous voyons toujours. Je fais partie de sa famille. Elle est la grande sœur que je n’ai pas eue…De ses enfants, ses petits-enfants, de ses joies, de ses peines, je sais tout. comme elle sait tout de moi .
A ma fille, Catherine, j’ai raconté maintes fois toute notre histoire. C’est même elle qui a redemandé les documents nécessaires au témoignage, et que j’avais égarés une première fois. Elle m’a aussi poussée à écrire les souvenirs de cette époque, pour mon petit-fils, afin que la mémoire ne s’en perde pas.
La générosité, la simplicité avec lesquelles la famille Lajat nous accueillit, en se mettant en grand danger elle-même, m’ont donné très fort le sentiment d’adhésion à ce pays. Malgré les exactions de quelques-uns, j’ai appris à me sentir de cette culture-là. Ma dette reste immense et ne sera jamais effacée.
Et c’est pourquoi je voudrais que les Lajat soient honorés et que leur nom soit gravé quelque part en terre d’Israël, in memoriam.
06/04/2010
[Compléter l'article]
Chronologie [Ajouter]
Cet article n'est pas encore renseigné par l'AJPN, mais n'hésitez pas à le faire afin de restituer à cette commune sa mémoire de la Seconde Guerre mondiale.
Témoignages, mémoires, thèses, recherches, exposés et travaux scolaires
[Ajouter le votre]
Comment ajouter le votre. En savoir plus…
Etoile jaune: le silence du consistoire centrale , Mémoire ou thèse
7 pages,
réalisation 2013
Auteur :
Thierry Noël-Guitelman
- terminal
Lorsque la 8e ordonnance allemande du 29 mai 1942 instaure l'étoile jaune en zone occupée, on peut s'attendre à la réaction du consistoire central. Cette étape ignoble de la répression antisémite succédait aux statuts des juifs d'octobre 1940 et juin 1941, aux recensements, aux rafles, aux décisions allemandes d'élimination des juifs de la vie économique, et au premier convoi de déportés pour Auschwitz du 27 mars 1942, le consistoire centrale ne protesta pas.
Liens externes
[Ajouter un lien vers un article d'intérêt ou un site internet]
1 Juifs en psychiatrie sous l'Occupation. L'hospitalisation des Juifs en psychiatrie sous Vichy dans le département de la Seine (Par une recherche approfondie des archives hospitalières et départementales de la Seine, l'auteur opère une approche critique des dossiers concernant des personnes de confession juive internées à titre médical, parfois simplement préventif dans le contexte des risques et des suspicions propres à cette période. La pénurie alimentaire est confirmée, influant nettement sur la morbidité. Ce premier travail sera complété par un examen aussi exhaustif que possible des documents conservés pour amener une conclusion. )
2 Héros de Goussainville - ROMANET André (Héros de Goussainville - Page ROMANET André )
3 Résistance à la Mosquée de Paris : histoire ou fiction ? de Michel Renard (Le film Les hommes libres d'Ismël Ferroukhi (septembre 2011) est sympathique mais entretient des rapports assez lointains avec la vérité historique. Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques. Mais prétendre que la Mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire. )
4 La Mosquée de Paris a-t-elle sauvé des juifs entre 1940 et 1944 ? une enquête généreuse mais sans résultat de Michel Renard (Le journaliste au Figaro littéraire, Mohammed Aïssaoui, né en 1947, vient de publier un livre intitulé L’Étoile jaune et le Croissant (Gallimard, septembre 2012). Son point de départ est un étonnement : pourquoi parmi les 23 000 «justes parmi les nations» gravés sur le mémorial Yad Vashem, à Jérusalem, ne figure-t-il aucun nom arabe ou musulman ? )
5 Paroles et Mémoires des quartiers populaires. (Jacob Szmulewicz et son ami Étienne Raczymow ont répondu à des interviews pour la réalisation du film "Les garçons Ramponeau" de Patrice Spadoni, ou ils racontent leur vie et en particulier leurs actions en tant que résistants. On peut le retrouver sur le site Paroles et Mémoires des quartiers populaires. http://www.paroles-et-memoires.org/jan08/memoires.htm. (Auteur : Sylvia, Source : Canal Marches) )
[Signaler que le contenu de cet article vous semble erroné]
Avertissement Les informations affichées sur le site de ajpn.org sont fournies par les personnes qui contribuent à l'enrichissement de la base de données. Certaines, notamment les témoignages, ne peuvent être vérifiées par ajpn.org et ne peuvent donc pas être considérées d'une fiabilité totale. Nous citons les sources de ces informations chaque fois qu'elles nous sont communiquées. Toutes les demandes de rectification de données erronées sont bienvenues et, dans ce cas, les corrections nécessaires sont appliquées dans les meilleurs délais en citant la source de ces corrections. C'est par cette vigilance des visiteurs de notre site que nous pouvons assurer la qualité des informations conservées dans la base de données ajpn.org
|
* Juste parmi les Nations |
|
|
|
|
|
Justes parmi les Nations - Righteous among the Nations - De Gerechten mank de Völker - Giusti tra le nazioni - Drept între popoare - Gerechter unter den Völkern - Sprawiedliwy wsród Narodów Swiata - Rechtvaardige onder de Volkeren - Justuloj inter la popoloj - Rättfärdig bland folken - Spravodlivý medzi národmi - Spravedlivý mezi národy - Vanhurskaat kansakuntien joukossa - Világ Igaza - Justos entre as nações - Justos entre las Naciones - Justos entre les Nacions |
|