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Pyrénées-Orientales

Région :
Occitanie
Département :
Pyrénées-Orientales

Préfets :
Pierre Olivier de Sardan
(1941 - 1942) Préfet de la région de Montpellier (Aude, Aveyron, Hérault, Lozère et Pyrénées-Orientales)
Alfred Hontebeyrie
(11/10/1942 - 16/07/1944) Alfred Roger Hontebeyrie, Préfet de l'Hérault et de la région de Montpellier (Aude, Aveyron, Hérault, Lozère et Pyrénées-Orientales) (1895-1969)

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Katy Hazan Katy Hazan
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Croix-Rouge suisse

Dates : 09/1939 à 04/1944

Maternité d'Elne
durant la Seconde Guerre mondiale (WWII)

Château d’En Bardou
Route de Montescot
Texte pour ecartement lateralCommune : 66200 Elne
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Maternite-d-Elne
La maternité d'Elne
source photo : Mémorial de la shoah/CDJC
crédit photo : D.R.
Maternite-d-Elne
Maternité d'Elne
source photo : www.redcross.ch
crédit photo : D.R.
Maternite-d-Elne
Maternité d’Elne, berceau d’humanité
source photo : Mémorial de la shoah/CDJC
crédit photo : D.R.
Maternite-d-Elne
Le château d'en Bardou, transformé en maternité
source photo : Arch.
crédit photo : D.R.
Direction : Élisabeth Eidenbenz*
Personnel : Madeleine Bertrand Fillols, sage-femme
Histoire

La Bardarolle ou le château d’en Bardou

La Bardarolle ou le château d’en Bardou
Situées à 2 km à l’ouest d’Elne sur la route de Montescot (direction Bages-Thuir), les terres du futur château sont achetées en 1900 par Eugène Bardou à la famille Lazerme qui possédait alors le Mas d’Avall (propriété voisine du château).
Eugène Bardou est un riche industriel du papier à cigarette, cousin de Justin Bardou-Job, le célèbre papetier de la marque JOB. Eugène Bardou produit la marque de papier "le Nil" ; pour la distinguer de la branche Job, la famille est appelée habituellement "Bardou-Nil". Eugène Bardou est aussi un homme politique, ancien maire de Perpignan et l’un des fondateurs de l’Union Départementale des Mutuelles des Pyrénées-Orientales.
Le château est construit au début du XXe siècle mais, à ce jour, nous en ignorons l’architecte.
Le plan est très original en forme de croix grecque (quatre ailes d’égale longueur – aujourd’hui il en manque une) dont le centre est surmonté d'une coupole de verre. À l’origine, chaque palier central était pavé de dalles de verre qui laissaient passer la lumière de la verrière jusqu’au rez-de-chaussée.
Les "Bardou-Nil", dont l’usine est à Perpignan, mènent dans cette maison de campagne une vie mondaine pendant les week-ends et les vacances. Le château qu’ils appellent "La Bardarolle" est entouré de plusieurs hectares de parc, jardins et même d’un petit étang. Ici se réunit la haute société roussillonnaise comme le maréchal Joffre ou la famille Violet (Byhrr). Le domaine comprend aussi la maison des gardiens et la chapelle toujours visibles aujourd’hui. Ce château
témoigne de la réussite industrielle des Pyrénées-Orientales au tournant des XIXe et XXe siècles, de même que les châteaux des Bardou-Job : Valmy, Aubiry ou le Parc Ducup.

A la mort d'Eugène Bardou en 1927, le domaine est vendu aux frères Pierre et Charles Mirous, agriculteurs, qui mettent en culture le parc pour les excellentes terres et le ruisseau d’arrosage qui les dessert, mais le château reste inhabité. Il ne le sera à nouveau qu’en 1939 lorsque ceux-ci loueront cette grande demeure à Élisabeth Eidenbenz*.

La Guerre Civile espagnole (18 juillet 1936 – 1er avril 1939)
L’Espagne est une république depuis 1931 et comprend 3 régions autonomes, la Catalogne, le Pays Basque et la Galice. Après la victoire du front populaire en 1936 (coalition des forces de gauche, républicains et anarchistes), les forces de droite tentent une insurrection militaire le 18 juillet 1936 qui échoue dans les principales villes, mais une bonne part de l’armée se rallie aux insurgés.
Ceux-ci, à partir des zones espagnoles du Maroc, vont conquérir par les armes la totalité du pays en luttant contre les forces légales républicaines. L’Espagne est bientôt divisée en 2 zones ; depuis Burgos, le général Franco, chef de l'armée insurgée instaure une politique autoritaire et antidémocratique. Madrid étant un front permanent de guerre, le gouvernement légal espagnol se réfugie à València puis à Barcelona. L'Allemagne et l’Italie (Axe Rome- Berlin) apportent leur aide à Franco alors que l’Europe vote le blocus militaire et la non-intervention en Espagne. Les républicains sont malgré tout aidés par l’Union Soviétique et par les Brigades Internationales, essentiellement composées de volontaires européens. La dernière grande zone sous leur contrôle se situe au nord-est de l’Espagne, bien que Madrid et une région proche de València seront les dernières enclaves républicaines. Après la bataille de l’Ebre en 1938, l’armée républicaine bat en retraite et ne peut plus contenir l’avancée des troupes franquistes qui envahissent la Catalogne fin janvier 1939. Les gouvernements espagnol, basque et catalan s’exilent près de Figueres puis passent en France par Les Illes en février 1939.
L’Espagne est divisée par la haine au sein même des villages, des quartiers et des familles. Des centaines de milliers de républicains, craignant les exécutions sommaires, la répression et les cruautés infligées par les forces nationalistes espagnoles de Franco, fuient vers la France de fin janvier à début février 1939. Décidés au dernier moment, ils partent à pied ou avec des moyens de fortune, emportant le minimum indispensable, souvent bombardés ou mitraillés par l’aviation
ennemie jusqu’à l’arrivée en Catalogne Nord (territoire français). Ce chemin d’exil porte le nom de Retirada.

La Retirada et les camps : l’exil des républicains espagnols
Afin de tenter de maîtriser le flot des réfugiés espagnols évalués entre 450 000 et 500 000 personnes, la France installe dans les Pyrénées-Orientales de grands camps de concentration ou camps de réfugiés sur les plages d’Argelès-sur-Mer, de Saint-Cyprien et du Barcarès et plus tard à Rivesaltes et dans d’autres départements (Aude, Bram ; Ariège, le Vernet ; Hérault, Agde ; etc.).
D’autres plus petits sont instaurés au Boulou, en Vallespir et en Cerdagne. Ces camps seront ouverts pour la plupart jusqu’en 1941 ou 1942 ; une grande partie des réfugiés retournera en Espagne au bout de quelques semaines ou de quelques mois, tandis que l’autre partie sera dispersée peu à peu : enrôlement dans des camps de travail ou engagement pour défendre la France, dès l’entrée en guerre en septembre 1939. Certains tenteront l’aventure américaine et partiront surtout pour le Mexique, pays qui ne reconnaissait pas le gouvernement franquiste. D’autres enfin ont pu sortir des
camps et s’intégrer grâce à leur métier dans la société nord-catalane ou dans d’autres départements.
Pendant longtemps, ces camps n’ont aucune construction et les réfugiés font des abris avec des roseaux et divers matériaux de récupération. L’internement leur est insupportable. Pas de toilettes ni d’hygiène ; les reclus se lavent et font leurs besoins dans la mer. La dysenterie fait des ravages. Plusieurs mois plus tard, des baraques seront construites et quelques services mis en place mais la fatigue de l’exil ajoutée à la dureté des conditions de vie, au manque de soins et au peu de nourriture provoqueront une mortalité importante. Les hôpitaux étant débordés et réservés aux blessés, rien ou presque n’est prévu pour les femmes qui doivent accoucher. Celles-ci, mais aussi celles qui ont des enfants en bas âge, séparées le plus souvent de leurs maris et psychologiquement affaiblies, craignent pour la survie de leurs enfants et pour leur propre vie au moment de l’accouchement.

Élisabeth Eidenbenz*
Elle naît à Wila (Suisse) en 1913 dans une famille engagée dans les mouvements pacifistes chrétiens ; son père est pasteur protestant. En 1937, jeune institutrice préoccupée par le sort des populations espagnoles confrontées à la Guerre Civile, elle part, dans le cadre du Service Civil International, avec l’organisation "Aide Suisse aux enfants d'Espagne" porter secours aux populations les plus fragiles de ce pays, les enfants, mais aussi les femmes et les vieillards, qui
fuient les bombardements et s’exilent à l’intérieur même de l’Espagne. Pendant 2 ans, elle apporte aide alimentaire et soins dans les zones contrôlées par la République puisque le général Franco a refusé l’aide dans les zones qu’il contrôle. Mais à mesure de l’avancée des troupes franquistes, elle se trouve repoussée avec ses collaborateurs en Catalogne et bientôt elle doit refluer jusqu’en France avec les centaines de milliers de réfugiés lors de l’exil des républicains espagnols fin janvier - début février 1939.

Les maternités et la Maternité d’Elne
"L’Aide Suisse au Enfants d’Espagne", dont Élisabeth Eidenbenz* fait partie, se trouve en février 1939 en Roussillon et s’aperçoit immédiatement des carences du service sanitaire, en particulier pour les femmes enceintes et les enfants en bas-âge. La tâche humanitaire commencée en Espagne va donc se poursuivre en Catalogne nord à l’endroit où se trouvent désormais les populations réfugiées. Une première maternité est installée dans le château de Brouilla (à 9 km d’Elne), du printemps jusqu’au mois de septembre 1939. Mais l’organisation doit quitter cette grande demeure lorsque éclate la Seconde Guerre mondiale. Élisabeth Eidenbenz* raconte elle-même que, cherchant désespérément un autre lieu assez grand pour accueillir une maternité, elle avait remarqué en passant sur la route de Montescot un château isolé et surmonté par une grande verrière, qui semblait inhabité. Après entente avec les frères Mirous qui lui indiquent que le bâtiment n’est
pas en bon état, Elisabeth Eidenbenz loue le château d’en Bardou en septembre 1939 ; elle part alors en Suisse chercher des fonds et fait effectuer les travaux dès son retour.
Alors que toutes les réparations ne sont pas encore terminées, le premier enfant naît début décembre 1939. Jusqu’à Pâques 1944, soit pendant 4 ans et demi, 597 enfants verront le jour dans cette maternité (environ 400 naissent de mères venant de diverses régions d’Espagne et 200 de mères juives provenant de divers pays).
Élisabeth Eidenbenz*, que les mères espagnoles appellent "Señorita Isabel", se déplace elle-même dans les camps où elle bénéficie parfois de l’aide de correspondants ; par exemple avec Friedel Bohny-Reiter à Rivesaltes. Elle rapatrie les femmes en état d’accoucher mais elle contribue également, dans ces camps, à l’amélioration des conditions de vie des femmes avant et après l’accouchement : ainsi, elle fait construire des baraques plus confortables où est distribuée l’aide alimentaire. Tout au long de ces 4 ans et demi, Élisabeth Eidenbenz* va se consacrer à la logistique et aux relations avec
les autorités, bien qu’elle assiste et participe souvent aux accouchements.
Le contraste est immense entre la situation dans les camps et la vie à la Maternité où règnent propreté, hygiène, bonne alimentation et traitement chaleureux. Ici, point de questions d’argent, de papiers, de religion ou de politique. La Maternité est une sorte de "République de femmes".

Les besoins sont divers :
Alimentation des pensionnaires de la Maternité : pour cela un grand jardin est cultivé juste devant le château, côté ouest. Les denrées proviennent également d'achats sur les marchés et de convois alimentaires. Une alimentation améliorée est apportée dans les camps : plusieurs centaines de repas par jour et, suivant les moyens et les besoins, plusieurs milliers de rations de lait par jour.
Besoins sanitaires et d’hygiène assurés par le personnel suisse : plusieurs sage-femmes et infirmières, appelées "soeurs" mais aussi - au moins - une sage-femme d’Elne : Madeleine Blanchard Fillols. Un médecin vient de temps à autre.
Soutien psychologique : il est considéré comme étant très important par Élisabeth Eidenbenz* et est assuré par toute l’équipe, en particulier en créant à la Maternité une véritable enclave de paix : célébration des fêtes (Noël, les Rois Mages, fêtes folkloriques, anniversaires, etc.).
L’architecture du château joue ici pleinement son rôle : la lumière omniprésente et l’élégance de la construction contribuent au bon moral des pensionnaires.
Création d’une pouponnière (Banyuls-sur-Mer) et d’une colonie de vacances (Le Chambonsur-Lignon, en Haute-Loire) où les enfants d’Elne peuvent aller.
Accueil d’enfants de plusieurs mois ou de quelques années en état de détresse et de malnutrition de même que des femmes dans ces mêmes états.
Ressources financières et contreparties légales : dans un premier temps, elles sont apportées par des donateurs comme les Quakers ou le Comité de Nîmes (réseau qui fédère 21 oeuvres d'assistance), ou encore grâce au système du parrainage ou bien par des personnalités comme Pau Casals. À partir de 1942, la Croix-Rouge Suisse prend le relais du Cartel de l’Aide Suisse aux Enfants et supervise la Maternité. Les conditions seront meilleures sur le plan matériel (aide alimentaire régulière circulant par les couloirs humanitaires) mais la Croix-Rouge imposera à Élisabeth Eidenbenz* un strict respect des lois françaises, en particulier sur la question des juifs.
Défiant les lois quand elle le pouvait, Élisabeth Eidenbenz* risquera sa vie pour héberger et cacher les femmes juives qui venaient à la Maternité ; elle dissimulait aussi les enfants en changeant leurs noms sur les registres. Nous savons qu’au moins une fois, la Gestapo la menacera d’arrestation et de déportation. Elle sera sauvée in extremis.

La fermeture de la Maternité, l’oubli, la restauration du château et l’histoire retrouvée
La Maternité est tolérée par l’occupant nazi grâce au statut neutre de la Croix-Rouge Suisse, bien qu’elle soit souvent suspectée de résistance en particulier à propos de la dissimulation des juifs.
En avril 1944, les Allemands craignent un débarquement en Méditerranée. Ils occupent le Roussillon et la zone française dite "libre" depuis novembre 1942. Aux abois devant une situation qu’ils maîtrisent de moins en moins, ils ordonnent l'évacuation et la fermeture de la Maternité.
Élisabeth Eidenbenz* et ses collaboratrices auront 3 jours pour abandonner les lieux. Avec résignation, elles partent avec leurs pensionnaires en Aveyron. Heureusement l’occupation touche à sa fin ; la Catalogne nord (Pyrénées-Orientales) sera libérée en août 1944.
Élisabeth Eidenbenz* continue à vouer sa vie à la cause humanitaire ; elle part alors en Autriche apporter son aide aux enfants des réfugiés des pays de l'Est.
Le château, quelques temps occupé par les nazis puis par des troupes de résistants à la fin de la guerre, retournera à sa situation d’avant 1939. Il demeure inhabité et se dégrade inexorablement pendant plus de 50 ans.
Après quelques tentatives de restaurations, il est acheté en 1997 par François Charpentier, maître-verrier à Elne qui s’éprend du lieu et le restaure patiemment sans en connaître l’histoire. Une aile s’est effondrée qui ne sera pas reconstruite, les dalles de verre ont aussi disparu ; l’essentiel des travaux consiste à renforcer la structure qui menace ruine complète.
Alors que le château est encore en travaux, la rencontre fortuite de François Charpentier avec Guy Eckstein, né à la Maternité, sera le début de l’histoire retrouvée. Pour la faire connaître, un groupe de personnes se rassemble dans l'association "Hélén’arts". Guy Eckstein, vient de localiser Élisabeth Eidenbenz* près de Vienne en Autriche ; elle revient à Elne en 2002 et rencontre d’anciens enfants de la Maternité. La mairie s’implique dès cette date et son rôle sera décisif pour la suite du projet. La presse et la société s’émeuvent. Élisabeth Eidenbenz* est décorée ici de la Médaille des Justes parmi les nations décernée par l'État d'Israël. Plus tard, en 2006, elle reçoit la Médaille d’or de l’Ordre Social et de la Solidarité (Gouvernement espagnol) remise par la reine d’Espagne et, la même année, la Croix de Sant Jordi attribuée par la Generalitat de Catalunya (Gouvernement catalan). En 2007, elle est décorée de la Légion d'Honneur par le gouvernement français.

Le projet
La commune d’Elne fait l’acquisition du château-maternité en 2005 pour la grande valeur historique et symbolique de l'édifice. Le projet de la ville d’Elne n’est pas simplement de commémorer, mais de continuer l'oeuvre commencée par Élisabeth Eidenbenz* : suivre son exemple est la meilleure des reconnaissances.

Pôle Culture - novembre 2010

16/09/2011
Auteur : Pôle culture Elne

[Compléter l'article]

La Maternité suisse d’Elne (1939-1944)

Dans la guerre moderne, qui mobilise toutes les ressources des États belligérants, la distinction classique entre combattants et non-combattants s’efface. Les conflits armés contemporains deviennent plus meurtriers et plus dévastateurs. Règne de la fureur et du sang, qui emporte les digues fragiles du droit de la Haye ou de Genève. Nombreux sont les cas de délégués du CICR morts en mission, alors qu’ils portaient secours ou s’interposaient entre les factions.

Cette brutalisation a des racines anciennes. Les guerres de religion furent le terreau de la violence absolue. Menées sans pitié, -on connaît le féroce "Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens."-, elles visaient à la conversion forcée de l’adversaire ou à son extermination. Ainsi les Croisades, en Europe et au Proche-Orient, ou la Guerre de Trente Ans (1618-1648), opposant catholiques et protestants, qui ravagea l’Allemagne et la Bohème. Mais c’est la « guerre civile européenne 1914-1945 », l’affrontement des idéologies contraires, ces religions séculières dont parlait Raymond Aron, qui atteindra le sommet de l’horreur et de la destruction.
Les populations civiles paient le tribut le plus lourd aux conflits nouveaux. Et les enfants, victimes innocentes, sont les plus frappés. Tantôt enrôlés dans les combats, tantôt parqués dans des camps, privés de liberté et d’école, sous-alimentés, ils subissent la folie des hommes. Mais dans ce désert des sentiments et des principes, l’espérance ne meurt pas. Surmontant les obstacles, le droit humanitaire continue sa longue marche. Il y a aussi l’action des individus qui rappellent que la charité est inhérente à l’homme, la plus belle des vertus.

Avant de quitter l’Elysée, le président Chirac a décerné à l’une de nos compatriotes, qui avait sauvé des enfants dans la tourmente, le titre de Chevalier de la Légion d’Honneur. A une infirmière zurichoise, Élisabeth Eidenbenz*, qui dirigea, durant la Seconde Guerre mondiale, la Maternité suisse d’Elne, près de Perpignan. L’histoire de cet être d’exception mérite d’être contée. Fille de pasteur, elle s’engage, à 24 ans, pour l’Espagne meurtrie par la guerre. Et quand les troupes républicaines, vaincues,
refluent vers la France, en février 1939, suivies de milliers de civils, elle partage leur misère. S'activant autour des blessés et des malades dans les camps improvisés du Roussillon : Argelès, Barcarès, Saint-Cyprien, Rivesaltes, Collioure. Collioure où vient mourir d’épuisement et de chagrin le grand poète Antonio Machado, accablé par la haine qui déchire sa patrie.
Pour la Señorita Isabel, la mission est claire : il faut rassembler les mères qui vont accoucher, leur assurer soins et alimentation. La tâche est rude. Les réfugiés espagnols se comptent par dizaines de milliers, et puis il y a, dès l’été 1940, cette multitude d’Indésirables, ces Juifs, ces "Métèques" que l’invasion allemande a poussés vers le Sud et qui cherchent asile au-delà des Pyrénées, vers le Portugal et l’Amérique. Mais les Pyrénées sont fermées, seuls des passeurs clandestins s’y aventurent, au prix fort. Quand ils ne trahissent pas leurs malheureux clients !

La France, minée par la défaite, fait appel à l’aide internationale. La Suisse humanitaire y répond par une institution Le Secours aux enfants, rattachée à la Croix-Rouge suisse dès 1942. Une maternité est installée à Banyuls, puis à Elne, dans une ancienne maison de maître, le Château d’En Bardou. Ainsi, de 1939 à 1944, Élisabeth Eidenbenz*, peut y soulager des milliers de femmes et d’enfants. La Maternité suisse enregistrera 597 naissances. Les difficultés ne manquent pas. La Gestapo et la Milice traquent les Juifs. Les Espagnols, les Tsiganes, soulèvent la méfiance des habitants de la région, confrontés, eux aussi, à la pénurie.

Exemplaire est la biographie de Guy Eckstein. La famille Eckstein, juive, a fui la Belgique, dès le printemps 1940, trouvant un premier refuge à Thuir, une bourgade située à 20 km de Perpignan. Le père, au fort accent yiddish, est caché dans un grenier par une famille de paysans, au péril de leur vie. La mère, qui parle un français impeccable, peut aller et venir ; enceinte, elle accouche à Elne. Sommée, à plusieurs reprises, de livrer le registre des femmes juives, la Señorita Isabel refuse : le jeune Guy et sa mère échappent à la déportation vers Auschwitz. Quel contraste entre la bonté d’Élisabeth Eidenbenz* "Il fallait sauver les enfants, c’était nécessaire et c’est notre conscience qui le dictait. C’est tout", et la cruauté affichée par l’écrivain fasciste Robert Brasillach: "Il faut se séparer des Juifs en bloc, et ne pas garder les petits" (Je suis partout, hebdomadaire, 25 septembre 1942).
Un demi-siècle après les événements, le diplomate Guy Eckstein, haut-fonctionnaire de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), retrouvera la Señorita Isabel grâce à une photo. En témoignage de gratitude, il se lance dans un fécond travail de mémoire. Avec l’appui du propriétaire de la Maternité, François Charpentier, maître-verrier réputé, et du maire de la Ville d’Elne, Nicolas Garcia, petit-fils d’un républicain exilé. Avec le soutien aussi de la Croix-Rouge suisse, partie prenante au projet, qui s’intègre dans celui, plus vaste, de la construction d’un Mémorial sur le camp de Rivesaltes. Mais comment actualiser le message humanitaire de la Señorita Isabel ? Dans une première phase, la Ville acquiert l’immeuble qui abritait la Maternité. Elle y aménagera un espace de réflexion sur la guerre et l’exil. Et y créera un centre d’accueil pour mères et enfants victimes de conflits armés. L’idée rencontre un écho favorable, en France, en Espagne et en Suisse. Ainsi s’opère la magie de la fraternité humaine, au-delà du temps et des frontières.

Texte de De Philippe Bender-Courthion, historien Croix-Rouge Suisse

05/03/2011
Auteur : Philippe Bender-Cour

[Compléter l'article]

8 Familles hébergées, cachées ou sauvées à la Maternité d'Elne [Compléter]
Famille Albalat - Roberto, né à Elne
1941
Famille Barba - Serge, né en 1941 à Elne
Famille DURANTE - DURANTE MARIA née le 14.01.1943 (familiales )
1940 / 1941
Famille Eckstein - Guy, enfant juif né à Elne le 10 octobre 1941, sauvé avec sa mère, Henia.
Famille Lastmann - Charles, né en 1935 à Leipzic, sorti du camp de Rivesaltes par l'OSE et amené à Elne.
1940
Famille Oliva - Ruben, né en 1940 à Elne
Famille Pellitero - Marcelino, né le 6 mai 1940 à Elne et Bonifacio, né le 15 janvier 1942 à Elne
Famille Senes - Émilia Senes Sancey, née à Elne

Familles arrêtées (Maternité d'Elne) [Compléter]
Article non renseigné. Si vous avez connaissance de personnes arrêtées ou exécutées dans la commune, cliquez ci-dessus sur “Compléter” et ajoutez leur nom, prénom, les circonstances de l'arrestation et la date de l'arrestation, si possible.

Liens externes [Ajouter un lien vers un article d'intérêt ou un site internet]
1 Interview d'Elisabeth Eidenbenz (
)
2 Rencontre avec Paul Niedermann (Conférence de Paul Niedermann (1h24) enregistrée en mars 2011 au collège d'Estagel dans les Pyrénées-Orientales. Paul Niedermann retrace son parcours entre 1935 et 1945 de Karlsruhe à la Maison d'Izieu, en détaillant son passage au Camp de Rivesaltes. )
3 Elisabeth Eidenbenz par Manuel Huerga (
Elisabeth Eidenbenz par manuelhuerga )
4 Page Facebook de Lois Gunden Clemens
5 Lien vers l'éditeur du livre "La Villa St Christophe à Canet-Plage" (La Villa Saint Christophe maison de convalescence pour enfants des camps d'internement avril 1941 février 1943 )
6 Vous êtes venus me chercher (Blog de l'auteur - parutions, conférences, signatures... )
7 Elie Cavarroc, Juste des Nations (M. Elie Cavarroc, nommé Juste des Nations. Référence du dossier n°10002 du Comité Français pour Tad Vashem )

Chronologie [Ajouter]
Cet article n'est pas encore renseigné par l'AJPN, mais n'hésitez pas à le faire afin de restituer à cette commune sa mémoire de la Seconde Guerre mondiale.


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Vous êtes venus me chercher L'histoire de Rosa Goldmark, Récit 157 pages, réalisation 2014
Auteur : SYLVIE GOLL SOLINAS - terminal


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