Ils avait quitté Metz pendant l'exode de 1940 et étaient arrivés au
Gué-d'Alleré, petit village de 450 habitants à 15 kilomètres de La Rochelle. Ils y avaient été accueillis très chaleureusement et des aides spontanées leur avaient été proposées, tant de la part du curé que des instituteurs "laïques convaincus et militants".
Malgré le déracinement,
Lucie et
Albert Lazare tentent d'établir une vie presque normale et cherchent à se rendre utiles. En effet,
Lucie Lazare connaissait l'allemand et pouvait aider la secrétaire de mairie et les familles réfugiées qui avaient des parents prisonniers.
Albert Lazare, quant à lui appris aussi à jardiner.
Mais, comme partout ailleurs, les mesures antisémites sont parvenues à la mairie de ce village. Recensement des personnes et des biens, marquage:des pièces d'identité avec le npon "Juif", avis d'interdiction de travail professionnel ou d'emploi rémunéré, saisie des avoirs bancaires et des véhicules pour ceux qui en avaient, remise de trois étoiles jaunes par personne contre délivrance d'un point textile, enfin toutes les dispositions, prises conjointement, même si elles n'étaient pas concomitantes, par les autorités allemandes et, le plus souvent, par l'État français, arrivaient sans problème jusqu'à la plus petite commune de France.
Pourtant, une mesure particulière survint qui interdisait les zones côtières aux Juifs jusqu'à une distance de trente kilomètres du littoral concerna la famille Lazare directement.
Une première injonction de partir fut faite par des agents de la Gestapo assistés d'un interprète qui s'était présenté comme s'appelant Kieffer, originaire de Sarreguemines et connaissant bien Metz, ville d'origine des Lazare. Cette première incursion s'accompagna de l'enlèvement de leur voiture personnelle et du vol d'argent et de différents objets. Puis, après la réception de l'ordre d'expulsion, une autre visite domiciliaire se produisit alors que
Albert Lazare était parti chercher un nouvel endroit où habiter, qui allait être le village de Coulon. Cette fois-ci, encore, des objets furent dérobées à
Lucie Lazare, terrorisée parce que seule devant cette incursion policière
.
C'est donc après ces évènements que
Lucie et
Albert Lazare et leurs enfants arrivèrent à Coulon au cours du mois de février 1943.
Ils s'installèrent rue du Four, dans une maison à deux niveaux disposant d'un jardin, et
Albert Lazare s'efforça de recréer un cadre de vie le plus normal possible compte tenu des circonstances.
Jean Lazare fut scolarisé dans la classe de M. Rouger alors que
Colette allait à l'école des filles, voisine de celle des garçons puisque seul le bâtiment de la mairie les séparait.
Micheline, quant à elle, avait été admise dans un établissement niortais.
Les parents Lazare et leurs enfants ne portaient pas habituellement l'obligatoire étoile jaune quant ils étaient à Coulon, mais chacun d'entre eux en avait une cousue sur un vêtement au cas où il aurait été nécessaire de l'arborer.
Dans les souvenirs de cette époque, il semble que les relations aient été moins chaleureuses et l'ambiance plus tendue que dans leur précédente résidence. L'accumulation des mesures vexatoires et tyranniques, l'idée d'être toujours sur des listes détenues par une administration qui était le bras séculier de la persécution, constituaient certainement des éléments qui n'étaient pas pour rendre l'atmosphère respirable. Il y avait pourtant, dans une maison voisine, une famille Boyer dont la fille, Annie, était très attentionnée, mais c'est surtout les instituteurs, M et Mme Rouger, qui apparaissent comme ayant été très près de la famille Lazare. Malgré une vie qui essayait de paraître normale,
Jean Lazare garde le sentiment que ses parents "se tenaient en permanence sur leurs gardes". C'est certainement pour cette raison qu'ils s'étaient procuré, par un moyen qui n'a pas été rapporté, de faux papiers d'identité au nom d'une famille Lafond originaire de Nantes.
Cependant, la marche des événements se poursuivait malgré les précautions et les inquiétudes. Le 30 janvier 1944, pendant le repas du soir, des gendarmes vinrent avertir, ce qui constituait certainement une dérogation aux ordres reçus, qu'ils allaient revenir pour arrêter les parents et les enfants Lazare. Tout de suite, Annie Boyer et M. Rouger furent avertis afin de voir ce qu'il était possible de faire. La fuite de
Albert Lazare fut envisagée mais, comme son épouse était enceinte de sept mois et que lui-même avait une santé précaire, ce projet n'eut pas de suite. Par contre, les trois enfants,
Micheline,
Colette et
Jean furent immédiatement emmenés à l'école de garçons par M. Rouger, en passant par l'arrière de leur habitation et par les jardins, afin de dissimuler leur .départ. Là, avec aussi le concours de l'institutrice Mme Mathé, ils ont été cachés toute la nuit dans les combles de cette école, en attendant qu'une décision soit prise à leur égard.
Quelques heures après, le 31 janvier 1944, à 0 heure 30 ainsi que le précise le procès-verbal, les gendarmes de la brigade de Niort revinrent pour procéder à l'arrestation de la famille Lazare, ainsi d'ailleurs que de deux autres personnes considérées comme juives et résidant à Coulon.
Entre temps, le docteur Forget, qui exerçait dans ce village, avait été alerté, et les forces de gendarmerie durent constater que
Micheline,
Colette et
Jean possédaient un certificat médical les déclarant intransportables.
Dans le même procès-verbal, les gendarmes durent également constater que les enfants avaient été soustraits à l'arrestation. Dans la soirée de ce même jour, à 18 heures 30, la gendarmerie établit un nouveau document qui indiquait que
Lucie et
Albert Lazare avaient été transférés à l'hôpital de Niort pour y être internés sous surveillance policière.
Pendant ce temps, les trois enfants Lazare étaient toujours dissimulés dans les combles de l'école de garçons de Coulon. M. Rouger, qui avait été instituteur à l'Enclave de la Martinière, dans le pays mellois, avant d'être nommé dans le Marais Poitevin, avait envoyé une de ses filles, Jeanne, rencontrer une personne qu'il connaissait à
Saint-Léger-de-la-Martinière.
Jeanne Rouger partit donc vers Melle, peut-être en car, ce souvenir étant toutefois incertain, mais ce qu'elle se rappelle parfaitement, c'est qu'elle fit à pied, la nuit tombée, à travers les champs et les bois, le trajet de Melle à l'Enclave de la Martinière, ce qui représente environ cinq kilomètres. Arrivée à l'Enclave, elle se rendit à la ferme de
Louise* et
Jacques Pelletier*, que lui avait indiquée son père, au lieu-dit la Bertramière, et donna les raisons de sa visite tardive.
Sans hésiter,
Louise* et
Jacques Pelletier* acceptèrent de recevoir le garçon,
Jean Lazare, regrettant seulement de ne pas pouvoir les prendre tous les trois. Dès le lendemain matin,
Jacques Pelletier* alla voir un de ses voisins,
Auguste Garnaud*,, qui habitait au Quaireux, à peu de distance de la Bertramière, pour lui demander s'il accepterait de recueillir les deux autres enfants,
Micheline et
Colette. Là encore, l'acceptation fut sans réserve et Jeanne Rouger put revenir à Coulon pour apporter la nouvelle.
La nuit du 31 janvier au 1er février 1944,
Micheline,
Colette et
Jean furent emmenés à Glandes, petit hameau dépendant de la commune de Coulon mais distant d'environ deux kilomètres du village lui-même. Ils furent accueillis chez Marie-Paule Moinard, qui les installa dans une pièce située au-dessus de sa petite épicerie. Maurice Moinard, son fils, précise que
Jean Lazare, qui avait peut-être pris froid dans le grenier de l'école, toussait assez fréquemment et, afin que les clients de l'épicerie ne se posent pas de questions, il se mettait un édredon sur le visage pour étouffer le bruit.
Mais il fallait à présent trouver un moyen pour conduire clandestinement à l'Enclave de la Martinière les trois enfants qui se trouvaient sous le coup d'un mandat d'arrêt. Là encore, ce fut la nuit que s'effectua le voyage. Il y avait à Coulon un marchand de bière et de charbon qui s'appelait Gédéon Pipet et qui disposait d'un petit camion équipé d'un gazogène. Des tonnes furent montées dans le camion el recouvertes de fagots. C'est dans cet abri précaire et improvisé que se glissèrent les trois enfants.
Jean Lazare fut tout de suite intégré à la vie campagnarde grâce à la chaleur de l'accueil de
Jacques Pelletier*, appelé familièrement "Jacquet" ou Raoul, de son épouse
Louise* et de leurs enfants Louis et Pierre. Il se souvient qu'ils "l'ont cajolé et adopté comme un nouveau fils et frère", mais aussi "des grandes rôties (tartines grillées au feu de bois) el du chocolat, en place du déjeuner - repas que les autres avaient et qui n'était pas (dans son) habitude".
Ses sœurs bénéficiaient de la même qualité d'hébergement chez
Marie-Louise* et
Auguste Garnaud* où
Jean Lazare allait les voir environ une fois par semaine. Elles étaient très entourées par toute la famille et les deux filles de la maison, Louisette et Yvonne - appelée "Vonette" - qui étaient sensiblement de leur âge.
Jean Lazare se rappelle ses visites au Quaireux où, en plus de la chaleur humaine qui y régnait, il découvrait chez
Auguste Garnaud* la séduction d'une culture protestante qu'il n'avait jamais encore côtoyée. "La bibliothèque de
Auguste Garnaud* était très riche" et celui-ci parlait beaucoup avec son jeune visiteur, s'intéressant à son travail scolaire et accompagnant "ses occupations agricoles de multiples réflexions et citations". Il se souvient aussi des soirées passées au coin du feu avec les membres de la famille et les voisins, ainsi que des réfractaires au STO qui se cachaient dans les granges.
Sous le nom de Lafond, réfugié de Nantes,
Jean Lazare allait à l'école du village où l'instituteur, M. Contre, satisfait de ses résultats, voulait le faire passer en sixième. Il fallut bien lui dire quelle était la véritable situation et les choses en restèrent là, toujours protégées par le silence et la discrétion. En effet, à l'Enclave de la Martinière, personne n'était au courant, à l'exception du maire et plus tard de l'instituteur, de la véritable identité des enfants. Même s'il y avait des questions qui restaient sans réponse, toute la population demeurait dans une expectative prudente, tant vis-à-vis des enfants Lazare que pour les nombreux réfractaires qui logeaient et se déplaçaient de ferme en ferme.
Micheline et
Colette Lazare, quant à elles, ne pouvaient pas poursuivre leur scolarité, le niveau de l'école primaire étant dépassé pour elles.
Louise Pelletier* et
Auguste Garnaud* s'étaient rendu à Niort et avaient pu prendre contact avec
Lucie et
Albert Lazare détenus l'un et l'autre à l'hôpital.
Lucie Lazare venait de donner le jour à une petite fille, Danielle, et
Louise Pelletier* se souvenait que la chambre où elle se trouvait était gardée par un policier. Pour approcher
Albert Lazare,
Auguste Garnaud* s'était fait passer pour un membre du personnel chargé de l'entretien. Par ce subterfuge, il avait pu rapporter aux enfants des lettres de leur père où, dans l'une d'entre elles, celui-ci disait à son fils que "quoi qu'il arrive (tu) ne dois pas (te) faire justice (toi)-même à l'encontre de ceux qui ont fait le mal".
Auguste Garnaud* avait aussi reçu en dépôt différents papiers et objets qu'il avait cachés dans un vieux chêne têtard et "cabourne", c'est-à-dire dont le tronc était creux.
Pendant ce temps, les événements poursuivaient leur cours et la fin de l'été 1944 vit le reflux des troupes d'occupation et la libération du département des Deux-Sèvres, célébrée le 6 septembre,
Le 14 septembre,
Jean Lazare se souvient d'avoir vu Annie Boyer arriver en tandem depuis Coulon où il revint avec elle. Le lendemain, il put enfin se rendre à l'hôpital pour y voir son père qui était très souffrant, ainsi que sa mère, toujours très fatiguée après la naissance de sa fille Danielle.
Micheline et
Colette étaient également revenues à Niort et, le 17 septembre, ils apprirent le décès de leur père.
Avec l'aide de personnes de Niort, M. et Mme Mayoux, qui avaient gardé le contact avec elle,
Lucie Lazare et maintenant ses quatre enfants purent s'installer dans un logement de la rue de la Poste.
Ainsi se terminait pour cette famille un temps d'exode et de persécution.
Les liens d'amitié noués entre les Pelletier*, les Garnaud*, la jeune veuve et ses enfants perdurèrent de longues années durant après la guerre.